vendredi 22 mai 2009

chapitre 5

Depuis leur sortie du faubourg d’Allier, ils avaient croisé un flot incessant de paysans à dos de mulets mais plus souvent à pied, transportant des paniers, poussant des bœufs ou des volailles. Quelques charrettes bringuebalantes étaient chargées de piles de poteries grises.
Maître Duchapt informa Lorenzo : « Ils viennent du village de potiers qu’il y a entre Coulandon et Messarges. On y fabrique cette vaisselle grise. Nous allons y passer avant de nous engager dans la forêt. Les chemins sont très fréquentés car la foire des Brandons est franche du paiement de toute aide ou imposition royale, ainsi que du péage des ponts, ce qui attire naturellement de très nombreux paysans et des artisans. Il en vient de la région de Souvigny et même du Montet. Quant aux chalands, on en rencontre souvent qui viennent de Decize ou Nevers, voire même de Bourges".
Bientôt, le clocher de l’église de Neuvy apparût à leurs yeux, mais ils la laissèrent à main droite pour arriver, un quart de lieue plus loin, devant un groupe de maisons qu’ils traversèrent, et devant un porche qui était l’entrée d’un manoir :
Les deux échevins se signèrent- « Montgarnaud, qui fut la demeure du président Minard ! Il a été assassiné à Paris il y a bientôt dix ans de cela… Une bien sombre affaire ! »
Lorenzo avait constaté que nombreux paysans s’activaient dans les prés pour couper et tordre des branches basses qu’ils tressaient et le jeune florentin, qui n’avait connu que la campagne toscane s’en étonnait. Il affirma à ses compagnons de route que les cyprès poussaient tout seuls. Maître Duchapt tenta de le détromper :
-« il a bien fallu que quelqu’un les plante, ces cyprès ! Ici, les haies elles protègent du vent et les racines des arbres et des arbustes qui les constituent absorbent le trop-plein d’eau… Elles sont doublées par des fossés : cela évite que le grain ne moisisse quand il est semé… Il y a un petit inconvénient, les oiseaux y nichent en abondance et il faut installer des épouvantails ou les chasser pour qu’ils ne mangent pas les semences avant qu’elles ne soient levées ! Mais, surtout, ici, l’on élève beaucoup de bétail et il peut se mettre à l’abri. L’été, tu les verras s’y regrouper, de même qu’ils recherchent aussi l’ombre épaisse de ces noyers que tu vois au milieu des prés… Tout ce travail est nécessaire pour reboucher les trous que font les animaux sauvages et avoir de belles haies qui empêchent le bétail de divaguer. Et puis, dans ces « trasses », les paysans trouvent aussi des baies et des noisettes, et des herbes qui soignent… Sans compter le petit bois pour qu’ils se chauffent. Par contre, méfie-toi si tu dois te promener tout seul dans la campagne : ne t’allonge pas sans méfiance au pied d’une haie car les verpis (note : les vipères) aiment elles aussi beaucoup la fraîcheur que leur épaisseur procure ».
Ils avaient soutenu un bon train et sur une colline, on apercevait déjà le clocher de Coulandon :
- « Ah, se réjouit Jean Du Quesnay… Nous allons faire une halte à la taverne ».
En face de l’église pendait l’enseigne des Trois Rois devant une maison. Quelques clients jouaient aux dés avec force exclamations et à côté du jardin, une partie de billette était en cour. Une dispute s’amorçait : deux hommes un peu éméchés s’accusaient mutuellement… D'avoir triché ?Les motifs de leur querelle n’étaient pas très clairs :
- « tu l’as fait !
- mais non, c’est toi.
- non ! toi !!!
Mais ç’avait l’air grave !
A l’écart de cette animation, au pied d’une croix en pierre, était assis un homme au visage émacié et d’une pâleur qui contrastait avec son poil noir. Il regardait les joueurs et buveurs d’un air peu amène. Ses doigts serraient compulsivement quelque chose.
Lorenzo vit le visage de Maître Du Quesnoy se renfrogner et maître Duchapt décida : « Il vaut mieux ne pas nous attarder en ce lieu. Nous ferons plutôt halte au village des potiers. »
Et, sur le ton de la confidence :
« - L’homme assis au pied de la croix est frère Pasquet. Inutile de nous signaler à son attention… Il m’aime pas trop mon compère Du Quesnay et j’ai commis l’erreur de l’inviter chez moi avec le doyen du chapitre, qui est mon cousin… Quand il a découvert les livres que je collectionne, il m’a traité d’hérétique… Moins je le fréquente, mieux je me porte ».
Son compère acquiesçait : « - Il trouve que ma fille porte des vêtements trop richement brodés !!! Et que le tissu en est trop fin ! Il est vrai que ma Mariette aime la soie que je fais venir de Lyon. Mais elle est si jolie dans ces vêtements ! »
- "Ah, c'est ce fameux frère Pasquet pensa Lorenzo !"
Le regard de l’inquisiteur de la Foi devint encore un peu plus fiévreux quand un groupe d’hommes portant de grands chapeaux s’assit sur une table à tréteaux devant l’estaminet… C’était un groupe de charbonniers. Les yeux de Lorenzo avaient été attirés par une jolie jeune fille blonde assise au milieu d’eux. Son surcot en bure ne courrait aucun risque d’offenser frère Pasquet, pensa le garçon. Malgré ses pieds chaussés de sabots, elle était arrivée en paraissant danser !
Lorenzo plaisanta : "- maître Péant m’avait bien dit qu’on rencontrait des fées dans la forêt.
- Jolie fillette, approuva Lorin Duchapt. Peut-être un peu maigrelette".
Lorenzo et ses deux compagnons ne s’attardèrent pas, comme ils l’avaient décidé. Ils obliquèrent vers la droite et s’engagèrent dans un chemin qui semblait creusé en contrebas des prés….
- "Tu parlais de fées, dit maître Duchapt. Tu vois les trous, là, à main gauche ? Certains superstitieux croient qu’il s’y cache des wivres et qu’elles gardent des trésors. Balivernes que tout ça : en réalité, ce sont d’anciennes carrières. C’est de là qu’ont été extraites les pierres roses avec lesquelles ont été construites la plupart des églises… mais aussi notre Jaquemart. Si nous devions avoir un pont en pierre, c’est en pierre de Coulandon que nous le ferions édifier".
- " Tiens, nous arrivons au village de potiers..."
Ils s’attablèrent à l’ « Homme sauvage ». Le patron les accueillit avec faconde. Lorenzo se désaltéra d’un grand verre d’eau coupé de quelques gouttes de vin, mais maître Du Quenay et maître Duchapt résolurent de se faire servir du vin de Besson. Trois verres plus tard, maître Du Quesnay, en se tapant sur les cuisses informa à la cantonade :
- « Frère Pasquet, le dominicain était devant les Trois Rois, à Coulandon. Il paraissait être devant les portes de l’Enfer ».
Perrinet, le tenancier ne riait pas : - « Ne plaisantez pas : c'est une calamité pour le commerce. Dans son sermon, dimanche, il a appelé à édifier un bûcher pour ceux qui s’adonnent au pêché du jeu, comme il dit. »
Les deux échevins s’offusquèrent : - "nous offrons des feux de joie aux habitants de notre bonne ville de Moulins. Mais ce n’est pas pour y brûler leurs jeux de cartes et leurs dés ! Il a prêché aussi à saint Pierre des Ménestreaux pour faire interdire le jeu de paume, parce que les joueuses comme la célèbre Isabeau, portent, pour courir après la balle, des robes trop légères ! Il n’a qu’à pas les regarder si leur vue l’offense autant ».
Jean Du Quesnay soupira : - « C’est sans doute un saint homme ! »

dimanche 10 mai 2009

Le Jacquemart




Voici ce fameux Jacquemard, construit en 1452, mais qui succédait à un autre "reloge". Il y a maintenant 4 automates et ils frappent les quarts et les demi heures.

vendredi 8 mai 2009

chapitre 4

Maître Michel avait fixé rendez-vous pour Lorenzo avec maître Duchapt et maître Duquenay, deux des échevins de la ville, devant l’auberge du Chapeau Rouge. Le lendemain matin, Lorenzo quitta l’hôpital Saint Julien à l’heure de prime et se rendit d’abord au château car il voulait saluer sa cousine Marguerite et l’encourager pour le concours de poésie… Margot était toujours matinale : elle leur fit servir un chocolat chaud, cette boisson venue d’Amérique. Elle rassura son cousin et lui affirma être prête à concourir seule : elle devait son prénom à sa tante, la fille du roi François, et à la sœur de ce dernier qu’on surnommait en son temps la « dixième des Muses ». Et ils rirent beaucoup à singer Monsieur Brantôme et Monsieur Ronsard, hommes de lettres certes très érudits, mais si pédants !
- « Tu vas pourtant bien me manquer. Mes frères ne sont pas amusants et paraissent n’être préoccupés que de me trouver un mari, la cour paraît ne porter d’intérêt qu’aux médisances qui s’y colportent. Quant à ma mère, elle est trop préoccupée de politique. J’aimerais recevoir régulièrement de tes nouvelles au cours de la semaine que tu vas passer à Cressanges : aussi, j’ai une surprise pour toi ».
Elle se rendit vers sa fenêtre et prit une boîte en bois, percée de trous :
- « Je te présente Sybille, Morgane et Séléna : tu mettras un court message dans le petit tube qui s’accroche à leur patte et elles reviendront vers moi. S’il y a une réponse urgente, je t’enverrai un messager à cheval, mais ce sera moins discret. A l’avenir, nous nous organiserons pour que tu aies toi-même tes pigeons ».
Sa besace sur le dos et la boîte hébergeant les pigeons à la main, Lorenzo se rendit à la taverne où il devait rencontrer les échevins. Le Chapeau rouge et sa voisine, l’Image de Notre Dame, étaient situées sur la grand place de la ville, face aux halles et à ce que les moulinois appelaient le « reloge », où chaque heure civile, qui ponctuait la vie des marchands, était frappée sur une cloche par un mannequin articulé qu’on appelait Jaquemart. Lorenzo se promettait bien d’aller en étudier le mécanisme car il avait eu une idée pour l'améliorer. Ils se mirent en route alors qu’au beffroy, neuf coups étaient frappés sur la cloche.
Les échevins devaient très souvent aller choisir des arbres en forêt pour les faire marquer par un garde du martel des Eaux et Forêts ducales. Les ponts sur l’Allier étaient en bois et devaient être souvent réparés. Lorenzo trouvait ce mode de construction si …. primitif ! Pourquoi ne pas les construire en pierre ? Frère Jean lui avait raconté l’histoire du pont en pierre commandé par le duc Pierre II : à peine commencé de construire et déjà parti pour Villeneuve !!!
- « Il doit être à Nantes, maintenant ».
L’Arno aussi, avait de ces crues impitoyables : à la bibliothèque du palais Medici, Lorenzo avait eu le loisir de voir les plans que maître Leonardo, da Vinci, qu’il admirait, avait, un siècle plus tôt, établi pour le canaliser…. Et il pensa qu’il devait bien y avoir une solution pour éviter ces inondations à répétition, qui faisaient régulièrement des morts.
Ils passèrent aux écuries de Martin Durand, près de la porte des Carmes, prendre deux chevaux et une mule pour effectuer leur voyage. Lorenzo était un peu vexé que maître Michel lui ait réservé une mule… Et il marmonnait sa désapprobation en florentin, faisant écarquiller les yeux des deux échevins qui n’y entendaient goutte. Mais qui comprenaient cependant qu’il ne fallait surtout pas l’interrompre !
Pour gagner la grand rue du faubourg d’Allier, ils revinrent hors les murs et longèrent le moulin Bréchimbault, puis son ris pour arriver à la place des Lices. Des marchands forains avaient déjà installé leurs étaux roulants; devant les auberges où ils logeaient (« où pend la Fleur de Lys », le Lion d’Or, l’Homme Sauvage… avec leurs cours et étableries, et la forge de Stevenin Lefevre où plusieurs chevaux et mules attendaient d’être ferrés … La foire des Brandons qui commençait dans huit jours, attirait beaucoup de monde et cette année là le dimanche des Brandons était en mars…. Les marchands forains venus de Bourgogne, de Berry et d’Auvergne côtoyaient les marchands mariniers venus d’Orléans, Angers ou Nevers…
Vers bise, le long d’un autre ruisseau, s’étendaient des tanneries et les tueries des bouchers. Pour une petite ville comme Moulins, leur corporation tait singulièrement importante. Au moins en cela, Moulins ressemblait à Florence et le nez de Lorenzo fut incommodé par les mêmes odeurs de sang et de tripailles séchées.
Les ponts avaient été particulièrement fragilisés cette année : avec un hiver rude qui avait vu la rivière prise une quinzaine de jours par des blocs de glace, les arches avaient été fortement ébranlées… et en ce printemps pluvieux, on craignait que les souches d’arbres arrachées aux rives ne viennent à en emporter une ou plusieurs… Quand cela arrivait, il fallait alors traverser par bac et les échevins expliquèrent que c’était très préjudiciable à l’activité économique de l’ancienne capitale du duché de Bourbonnais.
Des pieux avaient été soigneusement stockés dans les fossés de la ville par les édiles prévoyants. On avait donc de quoi parer au plus pressé pour la foire des Brandons qui se tiendrait à partir de la semaine prochaine. D’ores et déjà des négociants et des marchands mariniers venus de Nantes, d’Angers étaient présents. Mais pour une bonne gestion de la ville, il ne fallait pas tarder à réserver des arbres de haute futaie auprès des propriétaires des forêts voisines.
En franchissant le premier pont Eschinard, Lorenzo fut impressionné par la force du courant …
- « Je n’aimerais pas tomber dedans !!!
Pierron Duchapt indiqua un clocheton à Lorenzo : nous traversons le « le village des Bardelins »… A main gauche, ce clocheton que tu vois est celui de l’église de la Madelaine, qui était l’Hôtel Dieu des lépreux … Comme il n’y en a plus beaucoup, on y héberge maintenant des pauvres passants.
Ils passèrent un deuxième pont ( - « le petit pont Eschinard » annonça l’un des échevins, ce qui fit rire Lorenzo qui trouvait que les moulinois ne faisaient pas fait preuve de beaucoup d’imagination pour trouver des noms aux ponts) puis cheminèrent dans un chemin creux, encastré entre deux hautes rangées d’arbres.
- " Nous appelons cela des « bouchures », car en plein été, les feuilles bouchent le paysage. Maître Duquenay précisa : « en réalité, elles délimitent les prés. C’est pourquoi on les appelle aussi des « trasses ».
Lorenzo ne s’était jamais éloigné beaucoup de Moulins : de Marseille, le port où il avait débarqué au mois de novembre précédent, il avait gagné la ville de Lyon par la rivière. Puis, transi de froid, il avait, entre Lyon et Lapalisse …, traversé dans la neige des monts boisés, plantés de sombres résineux, qu’il avait trouvés un peu angoissants avant de reprendre le bâteau à Varennes … pour remonter l’Allier jusqu’à Moulins. Ces paysages étaient si différents de la campagne florentine, ouverte, couverte de fleurs au printemps, dorée l’été….. brûlée même !!!…