jeudi 10 septembre 2009

J'ai procédé à quelques modifications des chapitres 8 et 9.

mercredi 9 septembre 2009

la généalogie de Lorenzino...

Il se tient actuellement à Paris une exposition sur Filippo Lippi et son fils Filippino. En France, quand on pense à un peintre florentin de la Renaissance, l'on pense surtout à Sandro Botticelli, qui fut l'élève de Filippo.
C'est lors de mon premier séjour à Florence, il y a presque 40 ans de celà que j'ai découvert ce tableau au musée des Offices. Plus que le "Printemps", plus que la "Vénus" de Sandro Botticelli, l'aspect étéré de cette Madonne me touche...
Et elle m'intéresse d'autant plus que le prof (de géographie) qui nous l'avait fait découvrir nous avait raconté une histoire intéressante à son propos. Le modèle de cette sainte vierge serait une religieuse qui portait le joli nom de Lucrezia Buti. Elle avait 18 ans quand elle fut séduite par Fra Filippo Lippi, qui en avait alors 48. Filippo Lippi, orphelin, n'avait pas fait le choix d'une vie dans un ordre religieux (il prononça ses voeux à 15 ans), les Carmes de surcroît. Mais celà lui permettait de vivre des bénéfices ecclésiastiques attachés à ses charges. Il s'affranchit souvent des contraintes de sa vie monastique.
L'année suivant la rencontre entre Filippo et Lucrezia naquit Filippino, qui devint le peintre attaché à la cour des Medicis.
Avoir séduit une nonne (elle aussi était carmélite) faillit coûter la vie à Filippo. Cosimo de Medicis obtint sa grâce du Pape et les eux parents du jeune Filippino furent relevés de leurs voeux et se marièrent. Filippino Lippi eut une soeur, Alessandra.
Dans la famille des Médicis, il y a aussi des personnages intéressants : trois papes (Léon X, Clément VII et Léon XI), dont le second, né Jules de Médicis (1478-1534) était lui même un enfant illégitime, et deux cardinaux : Charles (1430-1492), chanoine à Florence et Hippolyte (1509-1535).
Jules, futur Clément VII, eut lui même un fils d'une paysanne romaine (ou d'une esclave slave) : Alexandre (1511-1537).
La confrontation entre la généalogie des Lippi et celle des Médicis pouvait être intéressante : pourquoi Filippino n'aurait-il pas eu lui même une fille oubliée, élevée au couvent, qui aurait rencontré un chanoine descendant de Laurent le Magnifique ?

Comment appeler le descendant commun de ces deux intéressantes familles ?
Il y a un héros "romantique", Lorenzaccio, symbole du révolté pour Alfred de Musset et qu'a incarné Gérard Philipe, autre personnage charismatique, au festival d'Avignon, un autre Médicis, qui tua son cousin Alexandre en 1537. Lorenzaccio était au programme de la classe de 1ère et les "petits classqiues Larousses" l'ont répété à plusieurs générations de lycéens : le diminutif "accio", est méprisant.
Mon héros s'appellerait donc Lorenzino.

jeudi 30 juillet 2009

chapitre 9

A la fin de l’office, avant de passer la parole à Lorenzo, le vicaire rappela aux paroissiens le devoir qu'ils avaient de verser une redevance au seigneur des Noix. Le jeune florentin n’en comprit pas très bien la nature : il s’agissait de payer quelques deniers quand quelqu’un parlait. Une taxe bien curieuse. Un murmure diffus parcourût l’assistance quand il fut fait rappel de ce devoir.
Le vicaire L’Ours présenta Lorenzo à l’assemblée et ce dernier mit toute son éloquence pour tenter de convaincre les parents de laisser leurs enfants venir apprendre les rudiments de la lecture et de l’écriture.
- « Et le chant pour participer plus activement à la messe » crût-il bon d’ajouter.
Il leur annonçait qu’il irait les rencontrer individuellement quand le bruit d’une dispute à l’extérieur de l’église vint perturber son discours. Son auditoire devenait distrait et il jugea plus pertinent d’abréger.
Le vicaire était, quant à lui, déjà sorti.

Devant le cimetière attenant à l’église, le grand charbonnier roux affrontait un homme à cheval.
- « Ces bois nous appartenaient bien avant que votre famille ne vienne s’installer par ici et usurpe des droits sur des terres franches. Nous reconnaissons aux moines, qui replantent avec leurs paysans, le droit de percevoir une dîme sur les arbres que nous exploitons autour de leur prieuré. Le roi nous a passé commande de charbon de bois pour approvisionner son armée en poudre à canon et pour faire fonctionner les forges d’où sortent ses bombardes : c’est pour accomplir cette mission que nous abattons du bois. Dans ses forêts, ses officiers nous apportent protection, nous acceptons de lui céder gratuitement un vingtième de notre production. Mais le bois de Vesvres que vous prétendez être de votre fief, est franc de façon immémoriale, comme je le tiens de mon grand-père qui le tenait de son grand-père, qui lui-même le tenait de son grand-père. Quand vous chassez, en poursuivant le gibier vous détruisez les récoltes des paysans. C’est vous qui devriez leur payer un droit de passage.
- « Insolent ! » s’étrangla son vis-à-vis.
Le vicaire L’Ours, qui se tenait prudemment en retrait, renchérit :
- « Comment osez vous ainsi parler à une si noble personne ? »
Comme s’il n’avait pas entendu, le charbonnier continua
- « Les hommes d’armes que vous avez envoyés prélever ce que vous appelez vos redevances en ont profité pour prendre au passage, prétextant un droit de laide, les poteries que les potiers de Coulandon venaient de fabriquer pour aller les vendre à la foire. J’appelle ceci du vol et je leur ai conseillé de déposer plainte au siège de la sénéchaussée. Le procureur de leur communauté, qui est à Moulins pour la foire des Brandons a déjà sollicité un clerc pour écrire leur requête.
Quant à la redevance que vous venez de faire réclamer à la fin de la grand messe à propos des « musards » qui viendraient à rompre le silence, je serais curieux de savoir quels titres vous pouvez présenter pour justifier qu’elle vous soit versée ! »
Le seigneur des Noix, puisqu'il s'agissait de lui, était rouge de colère : il leva son épée et tenta d’intimider son contradicteur en faisant cabrer son cheval. La monture fut effrayée par un chien gris s’était interposé devant le géant roux et elle le désarçonna.
Lorenzo avait reconnu en lui l'un des seigneurs, piètre poète mais homme d’honnête conversation, féru de Pétrarque et de Dante, et qui fréquentait la cour avec assiduité. Marguerite l’avait présenté à lui. Il se précipita pour l’aider à se relever non sans remarquer que le charbonnier était allé chuchoter à l’oreille de l’animal qui s’était aussitôt calmé.
- « Décidément étonnant » avait-il pensé.
Et tendant une main secourable :
- « Permettez-moi, Monseigneur, de vous aider à vous relever. Etes-vous blessé ? »
- « Ah, Lorenzino ! Vous ici ? Rassurez-vous, un gentilhomme de ma race, issu d’une longue lignée de chevaliers est rude au mal. Je ne suis tombé que parce que ce manant pouilleux est un dangereux sorcier ».
L’homme au grand chapeau s’était éloigné en compagnie de son chien loup.
- « C’est un meneur de loups…Vous avez vu le monstre qui l’accompagnait ? Le mauvais œil ! c’est la seule chose qui peut expliquer qu’un cavalier aussi émérite que moi ait pu ne pas maîtriser sa monture. D'ailleurs, il a une méchante gamine pourvue d’un oeil vert et d’un autre bleu, ce qui est bien la marque du Démon. Mais il devra me rendre des comptes, ce gueux ! Nous allons bien leur montrer qui commande ici, n’est-ce pas ? C’est Madame Catherine qui vous envoie ? ».
- « Ah ! c’est donc bien le père de Marie », se dit Lorenzo, qui avait déjà cru reconnaître le chien gris. Puis à voix haute :
- « Non, c’est maître Péant. Il m’a chargé de créer une petite école de grammaire. Je suis venu l’annoncer ce matin à l’issue de la grand-messe ».
- « Je n’assiste jamais à la messe paroissiale : je suis les offices de mon chapelain en mon château. D'ailleurs, je serai ravi de vous y recevoir : nous pourrions organiser une de ces si charmantes soirées poétiques. J’inviterais quelques voisins.
J'ai ouï dire que le curé de la paroisse vous avait chargé d'organiser des écoles ? Louable initiative, si c’est pour donner un peu plus de religion aux rejetons de ces païens. Mais pas s’il s’agit de leur donner les moyens de lire et écrire. Ces pouilleux savent déjà bien trop de choses : on se demande bien comment. Vous avez entendu comment ce suppôt de Satan me parlait ? Et les mots qu’il employait ? « présenter des titres »… « déposer une requête » ? Sait-il seulement ce que celà veut dire ? Et imagine-t'il que le roi ou sa justice peut donner raison à ces culs terreux contre leurs supérieurs ? »
Sur ces mots, il remonta sur son cheval et saluant Lorenzo, reprit la direction de sa demeure.

L’après-midi était déjà bien avancé : Lorenzo et le vicaire allèrent à la cure. Une femme du village leur avait préparé un repas léger. Elle montra à Lorenzo la maisonnette qui lui était attribuée pour le temps de son séjour : des pâquerettes fleurissaient le long des murs, elle était couverte de chaume et ne comprenait qu’une seule pièce, mais dotée d’une cheminée en pierres..
Lorenzo appréhendait un peu la solitude au cours de son séjour : heureusement qu’il avait ses pigeons pour communiquer avec Marguerite (il lui enverrai un message sous peu), son papier pour écrire, le missel qui lui venait de sa mère et un luth …. Et puis, le seigneur des Noix avait promis d’organiser une soirée poétique.

Il rejoignit le vicaire pour procéder à la vérification de l’emploi des revenus de la cure.

mercredi 29 juillet 2009

chapitre 8

Le dimanche matin, Lorenzo se réveilla frais et dispos. Au retour de son escapade nocturne, il s’était endormi comme une masse. Il avait bien ouvert un œil quand les deux moines qui partageaient le châlit avec lui s’étaient levés pour se rendre à la chapelle dire leurs prières de laude. Mais il avait aussitôt replongé dans le sommeil. Le soleil brillait quand il descendit au réfectoire : Perrinet, le garde du martel était en train de manger une soupe.
- « Maigre » fit-il observer à Lorenzo « Frère Pasquet nous a quitté et a disparu après avoir bu un gobelet d’eau. Quant aux échevins qui comptaient partir à l’aube, ils dorment encore » ajouta-t’il dans un éclat de rire. « Tu trouveras une écuelle dans le dressoir ». Lorenzo alla se servir de la soupe dans la marmite qui pendait à la crémaillère, dans la grande cheminée.

Il restait encore trois bonnes lieues à parcourir avant d’arriver à Cressanges. Au contraire de ses compagnons de la veille, Perrinet Le Martel était un homme pressé. Et peu disert. Lorenzo, qui devait rencontrer le vicaire avant la grand messe pour lui annoncer sa mission s’était un peu inquiété du train adopté par les deux échevins qui semblaient vouloir allonger le plus possible leur promenade dans la campagne et la forêt et paraissaient connaître toutes les haltes où il faisait bon se désaltérer d’un vin de pays. Au cours du trajet, les deux incorrigibles bavards lui avaient appris une foule de choses. Et Lorenzo, un peu surpris au début de pareil déluge verbal, mais avide de savoirs, avait rapidement été intéressé par ce qu’ils disaient. Il avait apporté une main de papier pour consigner par écrit les poèmes qu’il concoctait ordinairement dans sa tête, mais avait déjà utilisé plusieurs feuillets pour noter aussi ses observations. Il comptait retourner observer les plantes aux vertus médicinales que ses compagnons de voyage avaient signalé à son attention. Au contraire de son oncle Guiseppe, qui le prenait pour un enfant irresponsable, les adultes qu’il avait rencontrés depuis son arrivée dans le duché de Bourbonnais le traitaient d’égal à égal. Il le devait peut-être à la confiance que lui avait manifestée maître Péant en l’investissant d’une mission aussi importante que celle de vérifier les comptes de la paroisse et d’organiser des petites écoles de grammaire…….

Perrinet le Martel était sorti de sa réserve pour lui vanter le travail des forestiers. Un travail de plusieurs générations avait permis d'obtenir un bois de haute futaie, idéal pour employer au renforcement des fortifications des villes, mais surtout indispensables à l’entretien des ponts et à la liberté de circulation des marchandises dans un pays prospère. Entre les moines, les officiers qui administraient, les sergents qui surveillaient, les forestiers qui coupaient le bois, mais aussi replantaient de jeunes plantes, débrouissaillaient, les paysans autorisés à venir prélever un peu de gibier pour leur nourriture, et les charbonniers, la forêt était loin d’être déserte… Lors d’une halte, Lorenzo et Perrinet avaient ainsi vu arriver plusieurs personnes venues s’enquérir des nouvelles.
Lorenzo la trouvait donc, cette forêt, beaucoup moins inquiétante qu'il ne s'y était attendu. Au couvent où résidait sa mère, il avait lu un exemplaire de la Guerre des Gaules de Jules César, qui présentait la forêt gauloise comme inexpugnable et un milieu hostile. Et son premier contact avec les bois de sapins traversés entre Charlieu et La Palisse, sous la pluie et un vent violent, l'avait conforté dans ses craintes. Il était venu avec deux ambassadeurs du duc de Florence, naturellement accompagnés d’hommes d’armes… La petite troupe avait séjourné deux nuits au château des comtes de Chabannes, où elle avait été accueillie chaleureusement. L'ancêtre du comte actuel était mort devant Pavie (1). Comme une bonne partie de la meilleure noblesse de France, qui soixante années durant, était partie tenter l'aventure et guerroyer au delà des Alpes, il avait éprouvé une grande fascination pour l'Italie. Il avait fait édifier un pavillon neuf, décoré dans le goût des palais toscans. Dans ce havre de paix, les voyageurs avaient appris qu’un convoi de marchands avait été attaqué par des brigands et que l'un d'entre eux avait été très grièvement blessé. Lorenzo n'avait pas été étonné que dans ce coupe gorge celà soit arrivé. Les légendes que lui avaient contées le frère Jeannin qui était très attiré par les choses plus ou moins magiques, notamment à propos des charbonniers, lui avaient donc fait craindre que les forêts bourbonnaisese ne soient le refuge pour des hordes d’hommes sauvages. Avant son départ de Moulins, il avait donc pris soin de faire aiguiser son tranchet et s’était tenu prêt à en découdre...
Il avait été étonné, après sa rencontre avec Marie, qu’elle partage son intérêt pour l’observation du ciel et qu’elle puisse avoir à sa disposition un objet si sophistiqué pour l'observer. Et elle lui avait suggéré que son père ne se contentait pas d’utiliser cet objet, mais qu’en plus de transformer le bois en poudre de charbon, il soufflait le verre et cherchait à améliorer la technique des lentilles grossissantes... Lorenzo était impatient de le rencontrer.
Maintenant, la forêt était de plus en plus fréquemment entrecoupée de clairières au milieu desquelles finissaient de se consumer des feux émergeant de cabanes rondes en branchages. Perrinet saluait au passage les hommes qui les veillaient car il fallait craindre les incendies. Lorenzo chercha des yeux Marie mais ne l’aperçut pas.
Ils menaient bon train pour arriver avant l'heure de la grand'messe : Lorenzo caracolait sur sa mule qui s’avérait être une excellente monture. Il se retourna à plusieurs reprises pour vérifier que la cage dans laquelle somnolaient ses pigeons était bien arrimée à sa selle.
Le chemin qu’ils avaient suivi depuis le prieuré, empruntait en réalité une ligne de crête et même s’il n’avait rien à voir avec ceux qui dans sa Toscane natale permettaient l’accès aux villages perchés, le clocher de Cressanges qui émergea entre deux arbres d’une haie surpombait la campagne environnante.

Ils arrivèrent avant l'heure de tierce... Lorenzo eut un mouvement de recul devant le monumental tas de bois dressé sur la place à l’entrée du village…
- « Frère Pasquet a réussi à convaincre le vicaire Lours de dresser un bûcher à Cressanges ? »
- « Demain, lundi, c’est les Brandons, le rassura Perrinet….. C’est une coutume dans nos campagnes d’allumer des feux et de « brandouner » au pied des arbres fruitiers pour avoir de belles récoltes. Tard dans la nuit, la jeunesse danse autour des braises. Tu seras le bienvenu : les villageois sont très accueillants ».
Il l’accompagna à la sacristie et lui présenta le vicaire L’Ours. Un de ses ancêtres était venu d'Allemagne et ce nom était la traduction d'un patronyme imprononçable avait confié Perrinet le Martel à Lorenzo qui trouvait que ce nom collait bien à son allure balourde ! Physiquement il ressemblait aux miniatures qu'il avait admirées avec Marguerite dans un exemplaire du livre de chasse de Gaston de Foix conservé dans la bibliothèque du château de Moulins. Ils convinrent ensemble que Lorenzo devait prendre la parole à l’issue de la messe pour contacter les parents de jeunes enfants et les convaincre de les envoyer suivre les cours qui seraient dispensés dès le mois de mai dans les petites écoles. Il l’informa aussi qu’il avait pour mission de vérifier les comptes : compiler les reconnaissances des revenus dûs à la cure et les quittances afférentes aux travaux sur les bâtiments, qui apparemment, étaient fréquents et expliquaient la portion congrue qui revenait au père Péant. Certes, ce dernier n'escomptait pas en tirer grands bénéfices, mais il était curieux d'en connaître la raison.
A cette nouvelle, le vicaire, qui avait déjà témoigné de peu d’enthousiasme devant le projet d’école, lui jeta un regard noir.
- « Bon, je fais sonner les cloches. Je vais être en retard pour la grand messe »

Au milieu des paysans qui attendaient devant le porche, Lorenzo aperçut Marie et le grand homme roux qu’il avait remarqué la veille à ses côtés, et qu'il supposa être son père. La fillette alla s’installer du côté des femmes après avoir adressé un discret signe amical à Lorenzo. L’homme s’en aperçut cependant et ils échangèrent quelques mots. Mais il n’entra pas dans l’église avec elle.
(1) le maréchal de Lapalisse est mort devant Pavie en 1525. C'est lui qui "un quart d'heure avant sa mort était encore en vie" où plutôt, "faisait encore envie", paroles originales de la chanson écrite en son honneur.

dimanche 19 juillet 2009

chapitre 7

Les ronflements des frères empêchaient Lorenzo de dormir. Et il avait froid : la fenêtre du dortoir n’était même pas obturée par une feuille de parchemin huilée. La nuit était sombre et les étoiles étincelaient... Il alla les observer et il songea à sa cousine Marguerite, qui aimait tant monter sur les courtines du château pour contempler le ciel quand toute la cour était endormie.
Son regard s’était habitué à l’obscurité et il aperçu à une croisée de chemin deux silhouettes qu’il reconnut, l’une humaine, l’autre animale. Il sortit du dortoir et passa discrètement devant l’écurie où s’était réfugié frère Pasquet : il ne tenait pas particulièrement à lui parler. Il avait mis son tranchet à son côté et prudemment, s’approcha. Il avait bien crû reconnaître la jeune fille qu’il avait remarquée quand ils étaient passés devant la taverne de Coulandon et que le frère Pasquet regardait d’un air si peu amène. Son chien loup s’était levé, prêt à la défendre. Elle le retint par la peau du cou et fit tomber un objet que ramassa Lorenzo :
- " C’est quoi ce tube ? ? ?"
Elle le lui tendit et lui fit signe de regarder dedans ...
Lorenzo l’appliqua sur son œil. Elle sourit et le retourna. Puis elle lui fit signe de fermer l’autre œil..
- « Quand le doigt montre la lune, le sot regarde le doigt ! » (1) dit-elle avec une gentille ironie.
- "Mais tu parles français ? s’étonna Lorenzo.
- "Bien sûr... Je parle aussi le patois des gens d’ici... et un peu d’italien et un peu d’allemand que m’a appris mon père qui a beaucoup voyagé. C’est d’ailleurs d’un de ses voyages au pays des anciens Boïens, près d’une ville appelée Prague qu’il a rapporté cette « lunette ».
- "Au fait, je ne me suis pas présenté : je suis Lorenzo. Je viens de Florence, en Italie.
- " Mon nom de baptême est Marie, mais mon père m’appelle Fadette. Dans la forêt, on raconte que tu es un prince : le neveu de la reine Catherine."
- "Un cousin éloigné seulement.... et par la main gauche. Mais elle me fait l’honneur de son amitié".
Ebahi, il regarda à nouveau dans le tube :
- « c’est extraordinaire ce que l’on voit avec cet instrument..... . Un jour, j’ai cassé les besicles de mon oncle, et j’avais remarqué que quand on superposait les verres, on voyait plus gros, mais c’était un peu flou. Et je ne pensais pas que cela marchait pour rapprocher les étoiles : cet objet est merveilleux… Mais que fais-tu si près du prieuré la nuit ? Je n’ai pas aperçu de village »
Marie précisa
- « Récemment, nous avons installé nos loges, non loin de là, dans une clairière »
- "C’est quoi des « loges » ?"
- "Ce sont les cabanes en branchages que nous construisons quand nous fabriquons le charbon de bois. Nous les abandonnons quand nous avons fini d’exploiter la partie du bois qui nous a été attribuée. Notre village est plus loin, en réalité.
- « Tu as un bon compagnon » - Lorenzo regardait prudemment le chien – « mais ne t’attarde pas ici. Frère Pasquet dort à l’extérieur du prieuré, dans l’écurie. … Avec sa tendance à voir le mal partout, il est capable de considérer que ce bel instrument est un truc de sorcière. Et qu’il veuille le faire brûler dans un de ses bûchers ! Tu as dû le remarquer : c’est ce moine qui était assis au pied de la croix, devant l’église de Coulandon".
- "Ah, oui ! celui qui a un regard fou. Mon père m’a recommandé de m’en méfier. Merci de m'avoir prévenue. A bientôt, peut-être ?"
- "Je me rends à Cressanges où je séjournerai le temps de régler quelques affaires pour maître Michel Péant qui est le curé de la paroisse."
"- Nous nous reverrons pour la fête des Brandons, alors : son vicaire est invité au Village". Sur ces mots, la petite Marie s’éloigna avec chien loup. Arrivée au bout du chemin, elle se retourna et adressa à Lorenzo un signe de la main amical.
- « Qu’elle est gentille – pensa Lorenzo. Et jolie ! Ai-je rêvé ou a t’elle réellement des yeux de couleurs différentes ?

(1) on attribue aux Chinois ce proverbe. Nous détenons ici la preuve que certains de leurs voyageurs l'ont appris des charbonniers de la forêt de Moladier.

vendredi 26 juin 2009

haies et chemins creux



C'est au XVIe s., que le paysage de bocage si caractéristique de la campagne bourbonnaise s'est développé. Les plus anciens terriers (des documents fiscaux qui décrivent les parcelles avec précision) mentionnent des fossés qui séparent ce que l'on nomma au XIXe s. des "domaines", mais qu'on appelle alors des "ténements", "mas" ou "métaineries" (qui n'ont rien à voir avec le métayage ou bail à mi-fruit). Deux "terroirs" sont peu à peu délimités par des "turaux", qui sont des levées de terre. Peu à peu, ces dernières sont "végétalisées", grâce à des arbustes (sureaux, églantine, pruneliers) ou des arbres (chênes, noyers...).
Dans l'actuelle communauté de communes "bocage sud", ce qui est caractéristique, c'est que le bocage est souvent associé à un réseau de chemins "creux", en contrebas des champs et des prés.
Ces constructions humaines sont de remarquables ouvrages quand on songe que les chemins creux ont creusés à la pioche. Je m'interroge sur leur datation et je ne serais pas étonnée qu'on soit en présence d'élements résiduels d'un paysage beaucoup plus ancien. Car s'il est revitalisé au XVe et XVIe s., le bocage a sans doute existé aussi à la pérode celtique comme certaines photos aériennes prises en Bretagne tendraient à le démontrer.
Ces quelque photos du paysage actuel restituent assez bien celui qu'a dû connaître Lorenzo, une fois passés ce que les géographes appellent l'"hinterland" moulinois, au delà du pont Chinard (qui rappelle l'emplacement du petit pont Eschinard), entre Neuvy et Cressanges.






























mercredi 17 juin 2009

le prieuré de Moladier

source : M. Génermont

Où l'on découvre que Marguerite de Valois est à l'origine des SMS...

J'ai apporté quelques modifications au chapitre 4 : et l'on découvre qu'avec ses 3 "pigeonnes" voyageuses Sybille, Morgane et Séléna, pour communiquer rapidement avec son cousin, la jeune Margot est l'inventrice du Short Message Service.

dimanche 14 juin 2009

la mysoginie des clercs

Je n'ai pas inventé les propos du frère Pasquet : ceux que je lui fais tenir, et bien pis encore !, sont des extraits d'un livre traduit du latin en français (dont l'auteur me demeure inconnu mais qui n'était pas unique en son genre au sein de l'université) publié en 1585 chez Du Puys et intitulé "Thrésor des remèdes secrets pour les maladies des femmes".
De nos jours encore, beaucoup de bêtises sont dites, au nom de la "science". Pas plus tard qu'avant hier, au café philo, j'ai entendu un tenant de la psychanalyse, qui doit être convaincu qu'il n'a aucun a priori contre les femmes, expliquer que les femmes ayant, au contraire des hommes, une tolérance à la frustration étaient incapables de produire une oeuvre d'art.

chapitre 6

Maître Du Quesnay chantait à tue-tête une chanson dans laquelle il était question de moines et de vin quand ils se remirent en route pour le prieuré de Moladier, au travers d’une forêt qui devenait de plus en plus dense. Ça ou là, s’ouvrait une clairière : autour de cabanes en bois, couvertes de feuilles s’activaient des hommes. De la fumée s’échappait du toit en chaume :
- Il existe aussi des mines de charbon de terre à Châtillon, à 1 lieue et demie de Cressanges, dit maître Duchapt. Les habitants en tirent de très bons revenus. Mais avec les progrès réalisés dans l’art de la guerre, l’on a besoin du charbon de bois pour fabriquer de la poudre à canon.
- Ah oui, dit Lorenzo : c’est en effet l’un des trois composants ! Mon expérience a été ratée car je ne disposais pas de poudre de qualité. L'année précédente, pour l'anniversaire de sa mère, il avait tenté de réaliser le plus beau feu d’artifice de Florence… Mais avait dû trouver une autre idée de cadeau. Il avait eu l’occasion de rencontrer à Moulins des Italiens et avait constaté qu'ils semblaient aussi, dans cette ville, détenir le quasi monopole de la fabrication des brigandines et des boulets...
- Les charbonniers de la forêt tolèrent assez mal la concurrence du charbon de terre : il faut dire que n’est pas charbonnier qui veut ! Cette société est très refermée sur elle-même et l’on dit qu’elle transmet en son sein des rites centenaires. Mais tout charbon nous est utile : nous avons de plus en plus besoin de combustible pour les nouvelles industries. Moulins commence à se faire une certaine renommée celle du couteau .
Maître Duchapt avait jugé opportun d’allonger un peu le chemin et c’est un peu dégrisé que son compère, Lorenzino et lui-même atteignirent le lieu où ils avaient rendez-vous avec le garde du marteau des Eaux et Forêts. La communauté des moines ne comptait pas plus de 3 frères. Le prieur était un ami de maître Péant et il aimait tenir table ouverte. Pour d’éventuels pélerins…. - « Mais nous ne sommes pas dérangés très souvent, convint-il ».
Et surtout, c’était un rendez-vous pratique pour que les édiles moulinois rencontrent les officiers des Eaux et Forêts… Au cours de l’après-midi, les deux échevins partirent choisir les arbres qui permettraient de tailler de longs paux (un pal – des paux) afin de réparer les ponts de la ville. On les marquerait du sceau des Eaux et Forêts pour les réserver.
Lorenzino nourrit ses trois tourterelles puis profita de ces moments de solitude pour sortir de sa besace une main de papier. Le temps passa agréablement…. Depuis qu'il s'exerçait en compagnie de sa cousine Marguerite, il avait de plus en plus de facilité à écrire des poèmes et espérait bien ne pas rater le prochain concours de poésie qui devait se dérouler dans 6 mois. Il comptait également épater Margot avec quelques vers bien troussés… que lui avaient inspiré les fées des bois de Moladier… Et plus particulièrement celle qui s’était matérialisée à ses yeux devant l’auberge de Coulandon.
A la nuit tombante, on l’appela pour partager le repas du soir. Les deux échevins avaient résolu de passer la nuit au prieuré, le vent s’annonçant violent. Mais ils partiraient à l’aube. Et le jeune homme ferait le reste du trajet jusqu’à Cressanges en compagnie de maître Jacques le Martel qui y demeurait ordinairement. Un homme se présenta. Un pèlerin ? Quand il émergea de l’obscurité, Lorenzo remarqua aussitôt le regard noir, brûlant de fièvre, du frère Pasquet qui semblait suffire à alimenter les conversations de son entourage.
- Soyez le bienvenu, frère Pasquet, l’accueillit le prieur. Voulez-vous partager notre repas ?
- Nous sommes en plein Carême, je ne mange pas, s'indigna le dominicain.
- Mais ce n’est qu’une simple omelette.
- C’est encore trop pour qui veut arriver à communiquer directeemnt avec le Très Haut : je me sustente d’un simple quignon de pain et bois juste un verre d’eau claire pour me purifier avant la prière de prime et un second après la prière de vespre. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir m’offrir l’hospitalité dans votre grange pour cette nuit.
Et il alla s’asseoir à l’écart.
Maître Duchapt et maître Du Quesnay décidèrent d’anticiper leurs adieux à Lorenzino. Ce dernier avait bien cru remarquer qu’ils craignaient autant frère Pasquet que la peste. Ils l’encouragèrent beaucoup pour sa mission : « L’éducation des garçons, mais aussi des filles est un beau projet…. »
Maître DuQuesnay n'eut pas le temps de finir sa phrase. Du fond de la pièce, une voix s’éleva :
- « Blasphème ! les filles n’ont pas à connaître ce que vous prétendez leur enseigner… Le Créateur ne leur a pas donné un tête pour penser… Leur constitution est molle et leur corps imbécile. Ce qui fait que la vie des femmes n’est pas une vie mais une langueur misérable. Très certainement, si ce n’était leur fécondité, il vaudrait mieux pour elles mourir dès leur naissance. Quant aux garçons, il serait plus utile, comme je l’ai suggéré au frère Guillaume, de saint Jean de Bardon, plutôt que de leur enseigner des choses futiles, de les envoyer silloner les villages à la recherche de mauvaises actions à dénoncer.
Son intervention avait interrompu des adieux chaleureux et les deux échevins s’enfuirent vers la chambre qui leur avait été réservée. Lorenzo ne tarda pas à gagner le dortoir des moines qui lui avait été assigné. Il commençait à être un peu effrayé par les propos. Il avait entendu dire, qu’ à Florence, qu’au siècle passé, un autre dominicain avait, par des idées aussi intransigeantes, mis cette belle ville de à feu et à sang. Le frère Girolamo Savonarole avait fini au bûcher. Madame Catherine et son chancelier, Monseigneur de L'Hospital, avaient déjà tant à faire pour éviter les affrontements entre catholiques et membres de la religion réformée (1) : l'inquisiteur était capable de dresser les uns contre les autres ceux qui restaient fidèles au pape.
(1) on disait la RPR : religion prétenduement réformée.

vendredi 22 mai 2009

chapitre 5

Depuis leur sortie du faubourg d’Allier, ils avaient croisé un flot incessant de paysans à dos de mulets mais plus souvent à pied, transportant des paniers, poussant des bœufs ou des volailles. Quelques charrettes bringuebalantes étaient chargées de piles de poteries grises.
Maître Duchapt informa Lorenzo : « Ils viennent du village de potiers qu’il y a entre Coulandon et Messarges. On y fabrique cette vaisselle grise. Nous allons y passer avant de nous engager dans la forêt. Les chemins sont très fréquentés car la foire des Brandons est franche du paiement de toute aide ou imposition royale, ainsi que du péage des ponts, ce qui attire naturellement de très nombreux paysans et des artisans. Il en vient de la région de Souvigny et même du Montet. Quant aux chalands, on en rencontre souvent qui viennent de Decize ou Nevers, voire même de Bourges".
Bientôt, le clocher de l’église de Neuvy apparût à leurs yeux, mais ils la laissèrent à main droite pour arriver, un quart de lieue plus loin, devant un groupe de maisons qu’ils traversèrent, et devant un porche qui était l’entrée d’un manoir :
Les deux échevins se signèrent- « Montgarnaud, qui fut la demeure du président Minard ! Il a été assassiné à Paris il y a bientôt dix ans de cela… Une bien sombre affaire ! »
Lorenzo avait constaté que nombreux paysans s’activaient dans les prés pour couper et tordre des branches basses qu’ils tressaient et le jeune florentin, qui n’avait connu que la campagne toscane s’en étonnait. Il affirma à ses compagnons de route que les cyprès poussaient tout seuls. Maître Duchapt tenta de le détromper :
-« il a bien fallu que quelqu’un les plante, ces cyprès ! Ici, les haies elles protègent du vent et les racines des arbres et des arbustes qui les constituent absorbent le trop-plein d’eau… Elles sont doublées par des fossés : cela évite que le grain ne moisisse quand il est semé… Il y a un petit inconvénient, les oiseaux y nichent en abondance et il faut installer des épouvantails ou les chasser pour qu’ils ne mangent pas les semences avant qu’elles ne soient levées ! Mais, surtout, ici, l’on élève beaucoup de bétail et il peut se mettre à l’abri. L’été, tu les verras s’y regrouper, de même qu’ils recherchent aussi l’ombre épaisse de ces noyers que tu vois au milieu des prés… Tout ce travail est nécessaire pour reboucher les trous que font les animaux sauvages et avoir de belles haies qui empêchent le bétail de divaguer. Et puis, dans ces « trasses », les paysans trouvent aussi des baies et des noisettes, et des herbes qui soignent… Sans compter le petit bois pour qu’ils se chauffent. Par contre, méfie-toi si tu dois te promener tout seul dans la campagne : ne t’allonge pas sans méfiance au pied d’une haie car les verpis (note : les vipères) aiment elles aussi beaucoup la fraîcheur que leur épaisseur procure ».
Ils avaient soutenu un bon train et sur une colline, on apercevait déjà le clocher de Coulandon :
- « Ah, se réjouit Jean Du Quesnay… Nous allons faire une halte à la taverne ».
En face de l’église pendait l’enseigne des Trois Rois devant une maison. Quelques clients jouaient aux dés avec force exclamations et à côté du jardin, une partie de billette était en cour. Une dispute s’amorçait : deux hommes un peu éméchés s’accusaient mutuellement… D'avoir triché ?Les motifs de leur querelle n’étaient pas très clairs :
- « tu l’as fait !
- mais non, c’est toi.
- non ! toi !!!
Mais ç’avait l’air grave !
A l’écart de cette animation, au pied d’une croix en pierre, était assis un homme au visage émacié et d’une pâleur qui contrastait avec son poil noir. Il regardait les joueurs et buveurs d’un air peu amène. Ses doigts serraient compulsivement quelque chose.
Lorenzo vit le visage de Maître Du Quesnoy se renfrogner et maître Duchapt décida : « Il vaut mieux ne pas nous attarder en ce lieu. Nous ferons plutôt halte au village des potiers. »
Et, sur le ton de la confidence :
« - L’homme assis au pied de la croix est frère Pasquet. Inutile de nous signaler à son attention… Il m’aime pas trop mon compère Du Quesnay et j’ai commis l’erreur de l’inviter chez moi avec le doyen du chapitre, qui est mon cousin… Quand il a découvert les livres que je collectionne, il m’a traité d’hérétique… Moins je le fréquente, mieux je me porte ».
Son compère acquiesçait : « - Il trouve que ma fille porte des vêtements trop richement brodés !!! Et que le tissu en est trop fin ! Il est vrai que ma Mariette aime la soie que je fais venir de Lyon. Mais elle est si jolie dans ces vêtements ! »
- "Ah, c'est ce fameux frère Pasquet pensa Lorenzo !"
Le regard de l’inquisiteur de la Foi devint encore un peu plus fiévreux quand un groupe d’hommes portant de grands chapeaux s’assit sur une table à tréteaux devant l’estaminet… C’était un groupe de charbonniers. Les yeux de Lorenzo avaient été attirés par une jolie jeune fille blonde assise au milieu d’eux. Son surcot en bure ne courrait aucun risque d’offenser frère Pasquet, pensa le garçon. Malgré ses pieds chaussés de sabots, elle était arrivée en paraissant danser !
Lorenzo plaisanta : "- maître Péant m’avait bien dit qu’on rencontrait des fées dans la forêt.
- Jolie fillette, approuva Lorin Duchapt. Peut-être un peu maigrelette".
Lorenzo et ses deux compagnons ne s’attardèrent pas, comme ils l’avaient décidé. Ils obliquèrent vers la droite et s’engagèrent dans un chemin qui semblait creusé en contrebas des prés….
- "Tu parlais de fées, dit maître Duchapt. Tu vois les trous, là, à main gauche ? Certains superstitieux croient qu’il s’y cache des wivres et qu’elles gardent des trésors. Balivernes que tout ça : en réalité, ce sont d’anciennes carrières. C’est de là qu’ont été extraites les pierres roses avec lesquelles ont été construites la plupart des églises… mais aussi notre Jaquemart. Si nous devions avoir un pont en pierre, c’est en pierre de Coulandon que nous le ferions édifier".
- " Tiens, nous arrivons au village de potiers..."
Ils s’attablèrent à l’ « Homme sauvage ». Le patron les accueillit avec faconde. Lorenzo se désaltéra d’un grand verre d’eau coupé de quelques gouttes de vin, mais maître Du Quenay et maître Duchapt résolurent de se faire servir du vin de Besson. Trois verres plus tard, maître Du Quesnay, en se tapant sur les cuisses informa à la cantonade :
- « Frère Pasquet, le dominicain était devant les Trois Rois, à Coulandon. Il paraissait être devant les portes de l’Enfer ».
Perrinet, le tenancier ne riait pas : - « Ne plaisantez pas : c'est une calamité pour le commerce. Dans son sermon, dimanche, il a appelé à édifier un bûcher pour ceux qui s’adonnent au pêché du jeu, comme il dit. »
Les deux échevins s’offusquèrent : - "nous offrons des feux de joie aux habitants de notre bonne ville de Moulins. Mais ce n’est pas pour y brûler leurs jeux de cartes et leurs dés ! Il a prêché aussi à saint Pierre des Ménestreaux pour faire interdire le jeu de paume, parce que les joueuses comme la célèbre Isabeau, portent, pour courir après la balle, des robes trop légères ! Il n’a qu’à pas les regarder si leur vue l’offense autant ».
Jean Du Quesnay soupira : - « C’est sans doute un saint homme ! »

dimanche 10 mai 2009

Le Jacquemart




Voici ce fameux Jacquemard, construit en 1452, mais qui succédait à un autre "reloge". Il y a maintenant 4 automates et ils frappent les quarts et les demi heures.

vendredi 8 mai 2009

chapitre 4

Maître Michel avait fixé rendez-vous pour Lorenzo avec maître Duchapt et maître Duquenay, deux des échevins de la ville, devant l’auberge du Chapeau Rouge. Le lendemain matin, Lorenzo quitta l’hôpital Saint Julien à l’heure de prime et se rendit d’abord au château car il voulait saluer sa cousine Marguerite et l’encourager pour le concours de poésie… Margot était toujours matinale : elle leur fit servir un chocolat chaud, cette boisson venue d’Amérique. Elle rassura son cousin et lui affirma être prête à concourir seule : elle devait son prénom à sa tante, la fille du roi François, et à la sœur de ce dernier qu’on surnommait en son temps la « dixième des Muses ». Et ils rirent beaucoup à singer Monsieur Brantôme et Monsieur Ronsard, hommes de lettres certes très érudits, mais si pédants !
- « Tu vas pourtant bien me manquer. Mes frères ne sont pas amusants et paraissent n’être préoccupés que de me trouver un mari, la cour paraît ne porter d’intérêt qu’aux médisances qui s’y colportent. Quant à ma mère, elle est trop préoccupée de politique. J’aimerais recevoir régulièrement de tes nouvelles au cours de la semaine que tu vas passer à Cressanges : aussi, j’ai une surprise pour toi ».
Elle se rendit vers sa fenêtre et prit une boîte en bois, percée de trous :
- « Je te présente Sybille, Morgane et Séléna : tu mettras un court message dans le petit tube qui s’accroche à leur patte et elles reviendront vers moi. S’il y a une réponse urgente, je t’enverrai un messager à cheval, mais ce sera moins discret. A l’avenir, nous nous organiserons pour que tu aies toi-même tes pigeons ».
Sa besace sur le dos et la boîte hébergeant les pigeons à la main, Lorenzo se rendit à la taverne où il devait rencontrer les échevins. Le Chapeau rouge et sa voisine, l’Image de Notre Dame, étaient situées sur la grand place de la ville, face aux halles et à ce que les moulinois appelaient le « reloge », où chaque heure civile, qui ponctuait la vie des marchands, était frappée sur une cloche par un mannequin articulé qu’on appelait Jaquemart. Lorenzo se promettait bien d’aller en étudier le mécanisme car il avait eu une idée pour l'améliorer. Ils se mirent en route alors qu’au beffroy, neuf coups étaient frappés sur la cloche.
Les échevins devaient très souvent aller choisir des arbres en forêt pour les faire marquer par un garde du martel des Eaux et Forêts ducales. Les ponts sur l’Allier étaient en bois et devaient être souvent réparés. Lorenzo trouvait ce mode de construction si …. primitif ! Pourquoi ne pas les construire en pierre ? Frère Jean lui avait raconté l’histoire du pont en pierre commandé par le duc Pierre II : à peine commencé de construire et déjà parti pour Villeneuve !!!
- « Il doit être à Nantes, maintenant ».
L’Arno aussi, avait de ces crues impitoyables : à la bibliothèque du palais Medici, Lorenzo avait eu le loisir de voir les plans que maître Leonardo, da Vinci, qu’il admirait, avait, un siècle plus tôt, établi pour le canaliser…. Et il pensa qu’il devait bien y avoir une solution pour éviter ces inondations à répétition, qui faisaient régulièrement des morts.
Ils passèrent aux écuries de Martin Durand, près de la porte des Carmes, prendre deux chevaux et une mule pour effectuer leur voyage. Lorenzo était un peu vexé que maître Michel lui ait réservé une mule… Et il marmonnait sa désapprobation en florentin, faisant écarquiller les yeux des deux échevins qui n’y entendaient goutte. Mais qui comprenaient cependant qu’il ne fallait surtout pas l’interrompre !
Pour gagner la grand rue du faubourg d’Allier, ils revinrent hors les murs et longèrent le moulin Bréchimbault, puis son ris pour arriver à la place des Lices. Des marchands forains avaient déjà installé leurs étaux roulants; devant les auberges où ils logeaient (« où pend la Fleur de Lys », le Lion d’Or, l’Homme Sauvage… avec leurs cours et étableries, et la forge de Stevenin Lefevre où plusieurs chevaux et mules attendaient d’être ferrés … La foire des Brandons qui commençait dans huit jours, attirait beaucoup de monde et cette année là le dimanche des Brandons était en mars…. Les marchands forains venus de Bourgogne, de Berry et d’Auvergne côtoyaient les marchands mariniers venus d’Orléans, Angers ou Nevers…
Vers bise, le long d’un autre ruisseau, s’étendaient des tanneries et les tueries des bouchers. Pour une petite ville comme Moulins, leur corporation tait singulièrement importante. Au moins en cela, Moulins ressemblait à Florence et le nez de Lorenzo fut incommodé par les mêmes odeurs de sang et de tripailles séchées.
Les ponts avaient été particulièrement fragilisés cette année : avec un hiver rude qui avait vu la rivière prise une quinzaine de jours par des blocs de glace, les arches avaient été fortement ébranlées… et en ce printemps pluvieux, on craignait que les souches d’arbres arrachées aux rives ne viennent à en emporter une ou plusieurs… Quand cela arrivait, il fallait alors traverser par bac et les échevins expliquèrent que c’était très préjudiciable à l’activité économique de l’ancienne capitale du duché de Bourbonnais.
Des pieux avaient été soigneusement stockés dans les fossés de la ville par les édiles prévoyants. On avait donc de quoi parer au plus pressé pour la foire des Brandons qui se tiendrait à partir de la semaine prochaine. D’ores et déjà des négociants et des marchands mariniers venus de Nantes, d’Angers étaient présents. Mais pour une bonne gestion de la ville, il ne fallait pas tarder à réserver des arbres de haute futaie auprès des propriétaires des forêts voisines.
En franchissant le premier pont Eschinard, Lorenzo fut impressionné par la force du courant …
- « Je n’aimerais pas tomber dedans !!!
Pierron Duchapt indiqua un clocheton à Lorenzo : nous traversons le « le village des Bardelins »… A main gauche, ce clocheton que tu vois est celui de l’église de la Madelaine, qui était l’Hôtel Dieu des lépreux … Comme il n’y en a plus beaucoup, on y héberge maintenant des pauvres passants.
Ils passèrent un deuxième pont ( - « le petit pont Eschinard » annonça l’un des échevins, ce qui fit rire Lorenzo qui trouvait que les moulinois ne faisaient pas fait preuve de beaucoup d’imagination pour trouver des noms aux ponts) puis cheminèrent dans un chemin creux, encastré entre deux hautes rangées d’arbres.
- " Nous appelons cela des « bouchures », car en plein été, les feuilles bouchent le paysage. Maître Duquenay précisa : « en réalité, elles délimitent les prés. C’est pourquoi on les appelle aussi des « trasses ».
Lorenzo ne s’était jamais éloigné beaucoup de Moulins : de Marseille, le port où il avait débarqué au mois de novembre précédent, il avait gagné la ville de Lyon par la rivière. Puis, transi de froid, il avait, entre Lyon et Lapalisse …, traversé dans la neige des monts boisés, plantés de sombres résineux, qu’il avait trouvés un peu angoissants avant de reprendre le bâteau à Varennes … pour remonter l’Allier jusqu’à Moulins. Ces paysages étaient si différents de la campagne florentine, ouverte, couverte de fleurs au printemps, dorée l’été….. brûlée même !!!…