mercredi 29 juillet 2009

chapitre 8

Le dimanche matin, Lorenzo se réveilla frais et dispos. Au retour de son escapade nocturne, il s’était endormi comme une masse. Il avait bien ouvert un œil quand les deux moines qui partageaient le châlit avec lui s’étaient levés pour se rendre à la chapelle dire leurs prières de laude. Mais il avait aussitôt replongé dans le sommeil. Le soleil brillait quand il descendit au réfectoire : Perrinet, le garde du martel était en train de manger une soupe.
- « Maigre » fit-il observer à Lorenzo « Frère Pasquet nous a quitté et a disparu après avoir bu un gobelet d’eau. Quant aux échevins qui comptaient partir à l’aube, ils dorment encore » ajouta-t’il dans un éclat de rire. « Tu trouveras une écuelle dans le dressoir ». Lorenzo alla se servir de la soupe dans la marmite qui pendait à la crémaillère, dans la grande cheminée.

Il restait encore trois bonnes lieues à parcourir avant d’arriver à Cressanges. Au contraire de ses compagnons de la veille, Perrinet Le Martel était un homme pressé. Et peu disert. Lorenzo, qui devait rencontrer le vicaire avant la grand messe pour lui annoncer sa mission s’était un peu inquiété du train adopté par les deux échevins qui semblaient vouloir allonger le plus possible leur promenade dans la campagne et la forêt et paraissaient connaître toutes les haltes où il faisait bon se désaltérer d’un vin de pays. Au cours du trajet, les deux incorrigibles bavards lui avaient appris une foule de choses. Et Lorenzo, un peu surpris au début de pareil déluge verbal, mais avide de savoirs, avait rapidement été intéressé par ce qu’ils disaient. Il avait apporté une main de papier pour consigner par écrit les poèmes qu’il concoctait ordinairement dans sa tête, mais avait déjà utilisé plusieurs feuillets pour noter aussi ses observations. Il comptait retourner observer les plantes aux vertus médicinales que ses compagnons de voyage avaient signalé à son attention. Au contraire de son oncle Guiseppe, qui le prenait pour un enfant irresponsable, les adultes qu’il avait rencontrés depuis son arrivée dans le duché de Bourbonnais le traitaient d’égal à égal. Il le devait peut-être à la confiance que lui avait manifestée maître Péant en l’investissant d’une mission aussi importante que celle de vérifier les comptes de la paroisse et d’organiser des petites écoles de grammaire…….

Perrinet le Martel était sorti de sa réserve pour lui vanter le travail des forestiers. Un travail de plusieurs générations avait permis d'obtenir un bois de haute futaie, idéal pour employer au renforcement des fortifications des villes, mais surtout indispensables à l’entretien des ponts et à la liberté de circulation des marchandises dans un pays prospère. Entre les moines, les officiers qui administraient, les sergents qui surveillaient, les forestiers qui coupaient le bois, mais aussi replantaient de jeunes plantes, débrouissaillaient, les paysans autorisés à venir prélever un peu de gibier pour leur nourriture, et les charbonniers, la forêt était loin d’être déserte… Lors d’une halte, Lorenzo et Perrinet avaient ainsi vu arriver plusieurs personnes venues s’enquérir des nouvelles.
Lorenzo la trouvait donc, cette forêt, beaucoup moins inquiétante qu'il ne s'y était attendu. Au couvent où résidait sa mère, il avait lu un exemplaire de la Guerre des Gaules de Jules César, qui présentait la forêt gauloise comme inexpugnable et un milieu hostile. Et son premier contact avec les bois de sapins traversés entre Charlieu et La Palisse, sous la pluie et un vent violent, l'avait conforté dans ses craintes. Il était venu avec deux ambassadeurs du duc de Florence, naturellement accompagnés d’hommes d’armes… La petite troupe avait séjourné deux nuits au château des comtes de Chabannes, où elle avait été accueillie chaleureusement. L'ancêtre du comte actuel était mort devant Pavie (1). Comme une bonne partie de la meilleure noblesse de France, qui soixante années durant, était partie tenter l'aventure et guerroyer au delà des Alpes, il avait éprouvé une grande fascination pour l'Italie. Il avait fait édifier un pavillon neuf, décoré dans le goût des palais toscans. Dans ce havre de paix, les voyageurs avaient appris qu’un convoi de marchands avait été attaqué par des brigands et que l'un d'entre eux avait été très grièvement blessé. Lorenzo n'avait pas été étonné que dans ce coupe gorge celà soit arrivé. Les légendes que lui avaient contées le frère Jeannin qui était très attiré par les choses plus ou moins magiques, notamment à propos des charbonniers, lui avaient donc fait craindre que les forêts bourbonnaisese ne soient le refuge pour des hordes d’hommes sauvages. Avant son départ de Moulins, il avait donc pris soin de faire aiguiser son tranchet et s’était tenu prêt à en découdre...
Il avait été étonné, après sa rencontre avec Marie, qu’elle partage son intérêt pour l’observation du ciel et qu’elle puisse avoir à sa disposition un objet si sophistiqué pour l'observer. Et elle lui avait suggéré que son père ne se contentait pas d’utiliser cet objet, mais qu’en plus de transformer le bois en poudre de charbon, il soufflait le verre et cherchait à améliorer la technique des lentilles grossissantes... Lorenzo était impatient de le rencontrer.
Maintenant, la forêt était de plus en plus fréquemment entrecoupée de clairières au milieu desquelles finissaient de se consumer des feux émergeant de cabanes rondes en branchages. Perrinet saluait au passage les hommes qui les veillaient car il fallait craindre les incendies. Lorenzo chercha des yeux Marie mais ne l’aperçut pas.
Ils menaient bon train pour arriver avant l'heure de la grand'messe : Lorenzo caracolait sur sa mule qui s’avérait être une excellente monture. Il se retourna à plusieurs reprises pour vérifier que la cage dans laquelle somnolaient ses pigeons était bien arrimée à sa selle.
Le chemin qu’ils avaient suivi depuis le prieuré, empruntait en réalité une ligne de crête et même s’il n’avait rien à voir avec ceux qui dans sa Toscane natale permettaient l’accès aux villages perchés, le clocher de Cressanges qui émergea entre deux arbres d’une haie surpombait la campagne environnante.

Ils arrivèrent avant l'heure de tierce... Lorenzo eut un mouvement de recul devant le monumental tas de bois dressé sur la place à l’entrée du village…
- « Frère Pasquet a réussi à convaincre le vicaire Lours de dresser un bûcher à Cressanges ? »
- « Demain, lundi, c’est les Brandons, le rassura Perrinet….. C’est une coutume dans nos campagnes d’allumer des feux et de « brandouner » au pied des arbres fruitiers pour avoir de belles récoltes. Tard dans la nuit, la jeunesse danse autour des braises. Tu seras le bienvenu : les villageois sont très accueillants ».
Il l’accompagna à la sacristie et lui présenta le vicaire L’Ours. Un de ses ancêtres était venu d'Allemagne et ce nom était la traduction d'un patronyme imprononçable avait confié Perrinet le Martel à Lorenzo qui trouvait que ce nom collait bien à son allure balourde ! Physiquement il ressemblait aux miniatures qu'il avait admirées avec Marguerite dans un exemplaire du livre de chasse de Gaston de Foix conservé dans la bibliothèque du château de Moulins. Ils convinrent ensemble que Lorenzo devait prendre la parole à l’issue de la messe pour contacter les parents de jeunes enfants et les convaincre de les envoyer suivre les cours qui seraient dispensés dès le mois de mai dans les petites écoles. Il l’informa aussi qu’il avait pour mission de vérifier les comptes : compiler les reconnaissances des revenus dûs à la cure et les quittances afférentes aux travaux sur les bâtiments, qui apparemment, étaient fréquents et expliquaient la portion congrue qui revenait au père Péant. Certes, ce dernier n'escomptait pas en tirer grands bénéfices, mais il était curieux d'en connaître la raison.
A cette nouvelle, le vicaire, qui avait déjà témoigné de peu d’enthousiasme devant le projet d’école, lui jeta un regard noir.
- « Bon, je fais sonner les cloches. Je vais être en retard pour la grand messe »

Au milieu des paysans qui attendaient devant le porche, Lorenzo aperçut Marie et le grand homme roux qu’il avait remarqué la veille à ses côtés, et qu'il supposa être son père. La fillette alla s’installer du côté des femmes après avoir adressé un discret signe amical à Lorenzo. L’homme s’en aperçut cependant et ils échangèrent quelques mots. Mais il n’entra pas dans l’église avec elle.
(1) le maréchal de Lapalisse est mort devant Pavie en 1525. C'est lui qui "un quart d'heure avant sa mort était encore en vie" où plutôt, "faisait encore envie", paroles originales de la chanson écrite en son honneur.

Aucun commentaire: