mardi 10 août 2010

chapitre 11

Lorenzo, qui avait fort apprécié la compagnie des villageois, s’était couché tard dans la nuit. Habitué aux danses de la cour, aussi bien à Florence qu’à Moulins, il les avait admirés de pouvoir danser avec leurs sabots ! Le vin clairet était léger et Lorenzo l’avait dégusté sans trop de modération. Il avait pensé à frère Jean et frère Jeannin qui appréciaient tant le vin de Souvigny en l’absence de maître Péant.Il s’effondra sur sa couche et ne tarda pas à s’endormir. Il fut réveillé par la femme qui l’avait accueilli la veille : elle s’appelait Margotte. Avenante, elle lui dit en riant :« - Nous sommes déjà au milieu de la matinée. Le vicaire est à l’église : il doit finir de dire sa première messe ….. » Lorenzo avait bien dormi. Il avait rêvé, aussi. Il ne se souvenait plus de quoi, si ce n’est que cela avait été très agréable.Elle alluma un feu dans la cheminée : « - J’ai pris la liberté de vous installer dans cette masure, bien que monsieur le vicaire en ait retenu une autre pour vous, plus proche de l’église. Celle-ci est une des rares maisons à feu du village : vous y serez plus confortablement installé. Et vous apprécierez peut-être de ne pas l’avoir pour voisin ». C’était dit avec gentillesse, mais Lorenzo crût déceler un rire muet dans ses yeux. Elle avait raison : il préférait être éloigné un peu du vicaire bougon.Lorenzo alla soulever le linge qui recouvrait la cage de ses pigeons. Puis se renseignant sur l’emplacement d’un puits, alla puiser de l’eau à celui de la place. Il y avait une longue file d’attente. Il reconnut plusieurs des villageoises présentes à la fête de la veille. Elles lui souhaitèrent le bon jour, mais elles parlaient trop vite entre elles pour qu’il saisisse tous leurs propos. Quelques enfants les accompagnaient. Il se renseigna sur leur âge et en profita pour leur demander : « Vous aimeriez venir à l’école? ».- « Pour apprendre à chanter en latin ? demanda l’une des femmes.- Surtout à apprendre à lire, à écrire et à compter Une des mères pouffa : « Compter, ils savent le faire, je peux vous le garantir ! Mais savoir lire, quel intérêt ? - Pour connaître l’Evangile, tout d’abord. A lire les publications affichées sur la porte de l’église à la fin de la messe du dimanche, ensuite. Et peut-être vérifier un contrat établi par un notaire : je pense que vous aimeriez vérifier ceux que l’on passe en votre nom. - C’est vrai que le Rouquin nous a dit qu’il y avait souvent des anomalies dan les publication affichées sur la porte d’ l’église après la grand’messe et que. M. le vicaire nous prend pour des idiots.- Et à lire des livres, ajouta Lorenzo : moi, j’y ai appris plein de choses passionnantes.- Des livres ? Il n’y a que les riches qui en ont. Et savoir écrire servirait à quoi ?- Moi j’ai appris à dessiner et j’annote mes dessins : ça me permet de me remémorer les informations qu’on m’a données sur tel arbre ou telle plante : je vous montrerai les carnets que je tiens….
- Et à quoi bon apprendre à chanter la messe en latin ? Un frère de l’Hötel Dieu que dirige maître Péant, venu avant vous, nous a dit, après avoir bien abusé du vin clairet que notre vicaire ne le connaît pas trop non plus. Il bredouille sa messe sans trop savoir ce qu’il dit ». - Tiens, frère Jeannin est venu ici, s’amusa Lorenzo
A sa demande, on lui indiqua les maisons de quelques familles qu’il lui faudrait convaincre, au cours des jours suivant, d’envoyer quelques heures par semaine pour étudier.
De retour dans sa chambre, il versa de l’eau dans un récipient…. Elle était glacée ! Il se mouilla le bout du nez, le cou… Et décida d’arrêter là. Il se rapprocha de la cheminée : une soupe épaisse et une tranche de pain avaient été déposées sur une table.« - Quand je pense que je pourrais loger dans une maison sans feu ! ».La vie à l’hôtel Dieu de Saint Julien était austère, mais il y avait des étuves à proximité… pour le confort de la cour… Elles avaient mauvaise réputation, non sans raison, parfois. Mais à Moulins, elles étaient un lieu de confort et de convivialité qu’il appréciait.
Sa première visite fut pour le vicaire : son hostilité à son égard était palpable et il souhaitait l’amadouer. Il était à l’église et achevait une messe basse. Il fut surpris par l’arrivée de Lorenzo et dissimula sous un linge brodé un curieux objet noir et brillant : une sorte d’anneau. Ou de bracelet peut-être. Pas un objet ordinairement utilisé en Italie pour le culte : une coutume locale ? Comme cette curieuse cérémonie au cimetière dont on lui avait parlé ?
L’après-midi, Lorenzo continua à classer les pièces de la comptabilité de la paroisse. Il trouvait que bien peu de dépenses étaient justifiées comme elles auraient dû l’être. Il aimait la fantaisie, mais il lui fallait envoyer un message à maître Péant pour l’en informer céant. Il demanda à Perrinet le Martel quand il devait retourner à Moulins et apprenant son départ le lendemain, lui confia deux messages. Le second était destiné à sa cousine : il s’enquérait du déroulement du concours de poésie. Les thèmes qu’ils avaient traités ensemble avaient-ils plu à l’auditoire ? Il lui confia aussi sa joie d’avoir été invité par monseigneur des Noix en sa demeure et à rencontrer quelques uns de ses amis et de bénéficier d’une émulation intellectuelle en plein cœur de la forêt. Il lui promettait un compte rendu de l’étonnante cérémonie des Musards qui devait se dérouler cette nuit et tout le lendemain qu’on lui avait annoncée comme étant l’apanage du seul village de Cressanges. D’une plume alerte et ironique, il lui dressa aussi le portrait de l’étrange frère Pasquet, qui furetait dans la forêt à la recherche d’on ne savait bien quoi.

mardi 20 avril 2010

l'ancien itinéraire de Moulins à Coulandon, par Neuvy

Cetet carte date du XVIIIe s. Elle est un peu antérieure à la construction du pont en pierre, par Régemortes En noir, le tracer du chemin suivi par Lorenzo. Il existe encore actuellement.
Je propose un jeu : le rechercher sur la carte IGN au 1/25 000e. Puis le suivre à pied : c'est une promenade agréable à faire

mardi 13 avril 2010

chapitre 10

Le vicaire était d’une humeur exécrable : et il appelait Lorenzo, Lorenzino, sur un ton condescendant qui déplaisait à ce dernier. Il ne manquait pas de lui rappeler qu’il n’était qu’un gamin auquel il n’entendait pas donner des renseignements sur sa gestion des revenus de la cure.
Lorsque Lorenzo lui avait demandé de lui remettre les quittances des dépenses effectuées au cours des années précédentes, il l’avait toisé en relevant un de ses sourcils broussailleux et s’était insurgé :
- « Que connais-tu à la tenue de livres de comptes ? »
- « Monsieur le Curé m’a demandé de lui rapporter des pièces qu’il souhaite étudier et de faire un état des lieux de l’église et de la maison curiale : on lui a rapporté que le comble est pourri, des pierres sont descellées, l’humidité suinte de partout. Maître Péant souhaite trouver une solution pour économiser sur la dîme dont vous lui reversez le surplus et faire réaliser des travaux ».
Le vicaire LOURS le regarda d’un œil torve. Il bougonna :
- « Qui lui a rapporté cette menterie ? Il est temps de nous rendre place de l’ancienne justice. La fréquentation de ces villageois n’est pas vraiment amusante, mais notre présence est indispensable lors de ces cérémonies. Sinon ces manants sont toujours tentés de faire dévier ce dimanche d’entrée dans le Carême vers des rites bien peu chrétiens. Aujourd’hui, nous tolérons ce qu’ils appellent les Brandons. Mais frère Pasquet m’a fait observer que cette coutume était bien peu chrétienne et conseillé de rester vigilant. Ah ! maître Péant a bien de la chance que personne ne lui demande de quitter Moulins pour satisfaire aux obligations de sa charge ici ».

La place n’était pas très loin : elle devait son nom au fait qu’au siècle passé s’y tenaient les assises de la justice du duc. Ses représentants venaient de Verneuil écouter les doléances des villageois et arbitrer les conflits qui pouvaient surgir entre eux, vols de bois de chauffage ou d’animaux, injures entre voisins... Maintenant, seuls s’y déroulaient les marchés hebdomadaires. Et une foire aux bestiaux. C’était là qu’à son arrivée, Lorenzo avait vu un bûcher dressé. Maintenant, il était embrasé. Les villageois qui avaient été tentés de se presser autour de cette bonne flambée en cette fraîche soirée de fin d’hiver, s’en étaient rapidement écartés, leurs visages rougis par l’intensité de la chaleur.
Des tréteaux avaient été dressés et l’on avait apporté de toutes les maisons du bourg des paniers emplis de monceaux d’une sorte de petit pain, frit et sucré... que les gens d’ici appelaient bignons.
Le vicaire LOURS en avait un dans chaque main.
- « Mais nous sommes pas en plein Carême ? le taquina Lorenzo.
- En période de Carême, on fait maigre. Et c’est péché que de se laisser mourir de faim... ».
Il paraissait aussi apprécier le vin de pays («le sang du Christ ! » pensa, moqueur, Lorenzo, qui se signa discrètement pour avoir eu cette pensée impie).
Sa rencontre avec le frère Pasquet l’avait beaucoup troublé et il se demanda ce dernier pouvait bien penser de cette fête.
Quelques uns des bignons étaient fourrés de morceaux de pommes que l’on avait conservées depuis l’automne et Lorenzo ne faisait pas la fine bouche quand on lui proposait de se resservir.
Quand le feu ne fut plus que braises, plusieurs hommes se mirent à souffler dans des musettes et les enfants, les jeunes hommes et jeunes femmes entamèrent une danse. Quelques jeunes coqs de village, pour démontrer leur agileté, sautaient par dessus le feu en poussant des cris victorieux ou en hululant...
Les villageois prenaient aussi dans le bûcher des « brandons » incandescents et Lorenzo les vit aller les passer au pied des haies qui entouraient leurs jardins et de leurs arbres fruitiers. Il trouva cette coutume intéressante : enfumer d’éventuels nids de chenilles processionnaires qui faisaient tant de dégâts aux arbres et arbustes était une bonne idée. Il leur suggérerait de le faire plus longuement et de renouveler l’opération plusieurs fois. A la nuit tombante, des feux s’étaient aussi allumés dans le lointain, vers l’est.
- « Ce sont les feux du « village » ». L’Inquisiteur de la Foi pense que certains charbonniers se transforment en loups les nuits de pleine lune. Je ne serais pas étonné que le grand rouquin qui paraît être leur chef en soit capable. Tout comme sa sale gamine qui parle avec son bâtard de chien loup ! Et qu’avec ses semblables, il erre les nuits autour de la maison de monseigneur des Noix en quête d’un mauvais coup. Il fait semblant d’être bon chrétien : demain soir, tu vas le voir conduire le groupe de paroissiens qui viennent prier chaque mardi du mois de mars dans le cimetière et que l’on appelle les « musards ». Mais on ne le voit pas trop souvent à la grand messe du dimanche. Je le prendrai bien en défaut un de ces jours. Tu as vu comme il se pose en égal de notre seigneur des Noix ? Une autre petite sorcière avec son œil vert de vipère, et son œil bleu ».
Frère Jeannin et frère Jean avaient déjà évoqué le sujet des pouvoirs des charbonniers devant Lorenzo, mais maître Pasquet avait eu l’air dubitatif. Et il était très douteux que les petites dents de Marie la Fée se transforment en crocs de fauve...
C’est grognon que le vicaire LOURS se leva de table. Non sans oublier de mettre quelques bignons dans ses poches.