jeudi 30 juillet 2009

chapitre 9

A la fin de l’office, avant de passer la parole à Lorenzo, le vicaire rappela aux paroissiens le devoir qu'ils avaient de verser une redevance au seigneur des Noix. Le jeune florentin n’en comprit pas très bien la nature : il s’agissait de payer quelques deniers quand quelqu’un parlait. Une taxe bien curieuse. Un murmure diffus parcourût l’assistance quand il fut fait rappel de ce devoir.
Le vicaire L’Ours présenta Lorenzo à l’assemblée et ce dernier mit toute son éloquence pour tenter de convaincre les parents de laisser leurs enfants venir apprendre les rudiments de la lecture et de l’écriture.
- « Et le chant pour participer plus activement à la messe » crût-il bon d’ajouter.
Il leur annonçait qu’il irait les rencontrer individuellement quand le bruit d’une dispute à l’extérieur de l’église vint perturber son discours. Son auditoire devenait distrait et il jugea plus pertinent d’abréger.
Le vicaire était, quant à lui, déjà sorti.

Devant le cimetière attenant à l’église, le grand charbonnier roux affrontait un homme à cheval.
- « Ces bois nous appartenaient bien avant que votre famille ne vienne s’installer par ici et usurpe des droits sur des terres franches. Nous reconnaissons aux moines, qui replantent avec leurs paysans, le droit de percevoir une dîme sur les arbres que nous exploitons autour de leur prieuré. Le roi nous a passé commande de charbon de bois pour approvisionner son armée en poudre à canon et pour faire fonctionner les forges d’où sortent ses bombardes : c’est pour accomplir cette mission que nous abattons du bois. Dans ses forêts, ses officiers nous apportent protection, nous acceptons de lui céder gratuitement un vingtième de notre production. Mais le bois de Vesvres que vous prétendez être de votre fief, est franc de façon immémoriale, comme je le tiens de mon grand-père qui le tenait de son grand-père, qui lui-même le tenait de son grand-père. Quand vous chassez, en poursuivant le gibier vous détruisez les récoltes des paysans. C’est vous qui devriez leur payer un droit de passage.
- « Insolent ! » s’étrangla son vis-à-vis.
Le vicaire L’Ours, qui se tenait prudemment en retrait, renchérit :
- « Comment osez vous ainsi parler à une si noble personne ? »
Comme s’il n’avait pas entendu, le charbonnier continua
- « Les hommes d’armes que vous avez envoyés prélever ce que vous appelez vos redevances en ont profité pour prendre au passage, prétextant un droit de laide, les poteries que les potiers de Coulandon venaient de fabriquer pour aller les vendre à la foire. J’appelle ceci du vol et je leur ai conseillé de déposer plainte au siège de la sénéchaussée. Le procureur de leur communauté, qui est à Moulins pour la foire des Brandons a déjà sollicité un clerc pour écrire leur requête.
Quant à la redevance que vous venez de faire réclamer à la fin de la grand messe à propos des « musards » qui viendraient à rompre le silence, je serais curieux de savoir quels titres vous pouvez présenter pour justifier qu’elle vous soit versée ! »
Le seigneur des Noix, puisqu'il s'agissait de lui, était rouge de colère : il leva son épée et tenta d’intimider son contradicteur en faisant cabrer son cheval. La monture fut effrayée par un chien gris s’était interposé devant le géant roux et elle le désarçonna.
Lorenzo avait reconnu en lui l'un des seigneurs, piètre poète mais homme d’honnête conversation, féru de Pétrarque et de Dante, et qui fréquentait la cour avec assiduité. Marguerite l’avait présenté à lui. Il se précipita pour l’aider à se relever non sans remarquer que le charbonnier était allé chuchoter à l’oreille de l’animal qui s’était aussitôt calmé.
- « Décidément étonnant » avait-il pensé.
Et tendant une main secourable :
- « Permettez-moi, Monseigneur, de vous aider à vous relever. Etes-vous blessé ? »
- « Ah, Lorenzino ! Vous ici ? Rassurez-vous, un gentilhomme de ma race, issu d’une longue lignée de chevaliers est rude au mal. Je ne suis tombé que parce que ce manant pouilleux est un dangereux sorcier ».
L’homme au grand chapeau s’était éloigné en compagnie de son chien loup.
- « C’est un meneur de loups…Vous avez vu le monstre qui l’accompagnait ? Le mauvais œil ! c’est la seule chose qui peut expliquer qu’un cavalier aussi émérite que moi ait pu ne pas maîtriser sa monture. D'ailleurs, il a une méchante gamine pourvue d’un oeil vert et d’un autre bleu, ce qui est bien la marque du Démon. Mais il devra me rendre des comptes, ce gueux ! Nous allons bien leur montrer qui commande ici, n’est-ce pas ? C’est Madame Catherine qui vous envoie ? ».
- « Ah ! c’est donc bien le père de Marie », se dit Lorenzo, qui avait déjà cru reconnaître le chien gris. Puis à voix haute :
- « Non, c’est maître Péant. Il m’a chargé de créer une petite école de grammaire. Je suis venu l’annoncer ce matin à l’issue de la grand-messe ».
- « Je n’assiste jamais à la messe paroissiale : je suis les offices de mon chapelain en mon château. D'ailleurs, je serai ravi de vous y recevoir : nous pourrions organiser une de ces si charmantes soirées poétiques. J’inviterais quelques voisins.
J'ai ouï dire que le curé de la paroisse vous avait chargé d'organiser des écoles ? Louable initiative, si c’est pour donner un peu plus de religion aux rejetons de ces païens. Mais pas s’il s’agit de leur donner les moyens de lire et écrire. Ces pouilleux savent déjà bien trop de choses : on se demande bien comment. Vous avez entendu comment ce suppôt de Satan me parlait ? Et les mots qu’il employait ? « présenter des titres »… « déposer une requête » ? Sait-il seulement ce que celà veut dire ? Et imagine-t'il que le roi ou sa justice peut donner raison à ces culs terreux contre leurs supérieurs ? »
Sur ces mots, il remonta sur son cheval et saluant Lorenzo, reprit la direction de sa demeure.

L’après-midi était déjà bien avancé : Lorenzo et le vicaire allèrent à la cure. Une femme du village leur avait préparé un repas léger. Elle montra à Lorenzo la maisonnette qui lui était attribuée pour le temps de son séjour : des pâquerettes fleurissaient le long des murs, elle était couverte de chaume et ne comprenait qu’une seule pièce, mais dotée d’une cheminée en pierres..
Lorenzo appréhendait un peu la solitude au cours de son séjour : heureusement qu’il avait ses pigeons pour communiquer avec Marguerite (il lui enverrai un message sous peu), son papier pour écrire, le missel qui lui venait de sa mère et un luth …. Et puis, le seigneur des Noix avait promis d’organiser une soirée poétique.

Il rejoignit le vicaire pour procéder à la vérification de l’emploi des revenus de la cure.

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