vendredi 8 mai 2009

chapitre 4

Maître Michel avait fixé rendez-vous pour Lorenzo avec maître Duchapt et maître Duquenay, deux des échevins de la ville, devant l’auberge du Chapeau Rouge. Le lendemain matin, Lorenzo quitta l’hôpital Saint Julien à l’heure de prime et se rendit d’abord au château car il voulait saluer sa cousine Marguerite et l’encourager pour le concours de poésie… Margot était toujours matinale : elle leur fit servir un chocolat chaud, cette boisson venue d’Amérique. Elle rassura son cousin et lui affirma être prête à concourir seule : elle devait son prénom à sa tante, la fille du roi François, et à la sœur de ce dernier qu’on surnommait en son temps la « dixième des Muses ». Et ils rirent beaucoup à singer Monsieur Brantôme et Monsieur Ronsard, hommes de lettres certes très érudits, mais si pédants !
- « Tu vas pourtant bien me manquer. Mes frères ne sont pas amusants et paraissent n’être préoccupés que de me trouver un mari, la cour paraît ne porter d’intérêt qu’aux médisances qui s’y colportent. Quant à ma mère, elle est trop préoccupée de politique. J’aimerais recevoir régulièrement de tes nouvelles au cours de la semaine que tu vas passer à Cressanges : aussi, j’ai une surprise pour toi ».
Elle se rendit vers sa fenêtre et prit une boîte en bois, percée de trous :
- « Je te présente Sybille, Morgane et Séléna : tu mettras un court message dans le petit tube qui s’accroche à leur patte et elles reviendront vers moi. S’il y a une réponse urgente, je t’enverrai un messager à cheval, mais ce sera moins discret. A l’avenir, nous nous organiserons pour que tu aies toi-même tes pigeons ».
Sa besace sur le dos et la boîte hébergeant les pigeons à la main, Lorenzo se rendit à la taverne où il devait rencontrer les échevins. Le Chapeau rouge et sa voisine, l’Image de Notre Dame, étaient situées sur la grand place de la ville, face aux halles et à ce que les moulinois appelaient le « reloge », où chaque heure civile, qui ponctuait la vie des marchands, était frappée sur une cloche par un mannequin articulé qu’on appelait Jaquemart. Lorenzo se promettait bien d’aller en étudier le mécanisme car il avait eu une idée pour l'améliorer. Ils se mirent en route alors qu’au beffroy, neuf coups étaient frappés sur la cloche.
Les échevins devaient très souvent aller choisir des arbres en forêt pour les faire marquer par un garde du martel des Eaux et Forêts ducales. Les ponts sur l’Allier étaient en bois et devaient être souvent réparés. Lorenzo trouvait ce mode de construction si …. primitif ! Pourquoi ne pas les construire en pierre ? Frère Jean lui avait raconté l’histoire du pont en pierre commandé par le duc Pierre II : à peine commencé de construire et déjà parti pour Villeneuve !!!
- « Il doit être à Nantes, maintenant ».
L’Arno aussi, avait de ces crues impitoyables : à la bibliothèque du palais Medici, Lorenzo avait eu le loisir de voir les plans que maître Leonardo, da Vinci, qu’il admirait, avait, un siècle plus tôt, établi pour le canaliser…. Et il pensa qu’il devait bien y avoir une solution pour éviter ces inondations à répétition, qui faisaient régulièrement des morts.
Ils passèrent aux écuries de Martin Durand, près de la porte des Carmes, prendre deux chevaux et une mule pour effectuer leur voyage. Lorenzo était un peu vexé que maître Michel lui ait réservé une mule… Et il marmonnait sa désapprobation en florentin, faisant écarquiller les yeux des deux échevins qui n’y entendaient goutte. Mais qui comprenaient cependant qu’il ne fallait surtout pas l’interrompre !
Pour gagner la grand rue du faubourg d’Allier, ils revinrent hors les murs et longèrent le moulin Bréchimbault, puis son ris pour arriver à la place des Lices. Des marchands forains avaient déjà installé leurs étaux roulants; devant les auberges où ils logeaient (« où pend la Fleur de Lys », le Lion d’Or, l’Homme Sauvage… avec leurs cours et étableries, et la forge de Stevenin Lefevre où plusieurs chevaux et mules attendaient d’être ferrés … La foire des Brandons qui commençait dans huit jours, attirait beaucoup de monde et cette année là le dimanche des Brandons était en mars…. Les marchands forains venus de Bourgogne, de Berry et d’Auvergne côtoyaient les marchands mariniers venus d’Orléans, Angers ou Nevers…
Vers bise, le long d’un autre ruisseau, s’étendaient des tanneries et les tueries des bouchers. Pour une petite ville comme Moulins, leur corporation tait singulièrement importante. Au moins en cela, Moulins ressemblait à Florence et le nez de Lorenzo fut incommodé par les mêmes odeurs de sang et de tripailles séchées.
Les ponts avaient été particulièrement fragilisés cette année : avec un hiver rude qui avait vu la rivière prise une quinzaine de jours par des blocs de glace, les arches avaient été fortement ébranlées… et en ce printemps pluvieux, on craignait que les souches d’arbres arrachées aux rives ne viennent à en emporter une ou plusieurs… Quand cela arrivait, il fallait alors traverser par bac et les échevins expliquèrent que c’était très préjudiciable à l’activité économique de l’ancienne capitale du duché de Bourbonnais.
Des pieux avaient été soigneusement stockés dans les fossés de la ville par les édiles prévoyants. On avait donc de quoi parer au plus pressé pour la foire des Brandons qui se tiendrait à partir de la semaine prochaine. D’ores et déjà des négociants et des marchands mariniers venus de Nantes, d’Angers étaient présents. Mais pour une bonne gestion de la ville, il ne fallait pas tarder à réserver des arbres de haute futaie auprès des propriétaires des forêts voisines.
En franchissant le premier pont Eschinard, Lorenzo fut impressionné par la force du courant …
- « Je n’aimerais pas tomber dedans !!!
Pierron Duchapt indiqua un clocheton à Lorenzo : nous traversons le « le village des Bardelins »… A main gauche, ce clocheton que tu vois est celui de l’église de la Madelaine, qui était l’Hôtel Dieu des lépreux … Comme il n’y en a plus beaucoup, on y héberge maintenant des pauvres passants.
Ils passèrent un deuxième pont ( - « le petit pont Eschinard » annonça l’un des échevins, ce qui fit rire Lorenzo qui trouvait que les moulinois ne faisaient pas fait preuve de beaucoup d’imagination pour trouver des noms aux ponts) puis cheminèrent dans un chemin creux, encastré entre deux hautes rangées d’arbres.
- " Nous appelons cela des « bouchures », car en plein été, les feuilles bouchent le paysage. Maître Duquenay précisa : « en réalité, elles délimitent les prés. C’est pourquoi on les appelle aussi des « trasses ».
Lorenzo ne s’était jamais éloigné beaucoup de Moulins : de Marseille, le port où il avait débarqué au mois de novembre précédent, il avait gagné la ville de Lyon par la rivière. Puis, transi de froid, il avait, entre Lyon et Lapalisse …, traversé dans la neige des monts boisés, plantés de sombres résineux, qu’il avait trouvés un peu angoissants avant de reprendre le bâteau à Varennes … pour remonter l’Allier jusqu’à Moulins. Ces paysages étaient si différents de la campagne florentine, ouverte, couverte de fleurs au printemps, dorée l’été….. brûlée même !!!…

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