mardi 10 août 2010

chapitre 11

Lorenzo, qui avait fort apprécié la compagnie des villageois, s’était couché tard dans la nuit. Habitué aux danses de la cour, aussi bien à Florence qu’à Moulins, il les avait admirés de pouvoir danser avec leurs sabots ! Le vin clairet était léger et Lorenzo l’avait dégusté sans trop de modération. Il avait pensé à frère Jean et frère Jeannin qui appréciaient tant le vin de Souvigny en l’absence de maître Péant.Il s’effondra sur sa couche et ne tarda pas à s’endormir. Il fut réveillé par la femme qui l’avait accueilli la veille : elle s’appelait Margotte. Avenante, elle lui dit en riant :« - Nous sommes déjà au milieu de la matinée. Le vicaire est à l’église : il doit finir de dire sa première messe ….. » Lorenzo avait bien dormi. Il avait rêvé, aussi. Il ne se souvenait plus de quoi, si ce n’est que cela avait été très agréable.Elle alluma un feu dans la cheminée : « - J’ai pris la liberté de vous installer dans cette masure, bien que monsieur le vicaire en ait retenu une autre pour vous, plus proche de l’église. Celle-ci est une des rares maisons à feu du village : vous y serez plus confortablement installé. Et vous apprécierez peut-être de ne pas l’avoir pour voisin ». C’était dit avec gentillesse, mais Lorenzo crût déceler un rire muet dans ses yeux. Elle avait raison : il préférait être éloigné un peu du vicaire bougon.Lorenzo alla soulever le linge qui recouvrait la cage de ses pigeons. Puis se renseignant sur l’emplacement d’un puits, alla puiser de l’eau à celui de la place. Il y avait une longue file d’attente. Il reconnut plusieurs des villageoises présentes à la fête de la veille. Elles lui souhaitèrent le bon jour, mais elles parlaient trop vite entre elles pour qu’il saisisse tous leurs propos. Quelques enfants les accompagnaient. Il se renseigna sur leur âge et en profita pour leur demander : « Vous aimeriez venir à l’école? ».- « Pour apprendre à chanter en latin ? demanda l’une des femmes.- Surtout à apprendre à lire, à écrire et à compter Une des mères pouffa : « Compter, ils savent le faire, je peux vous le garantir ! Mais savoir lire, quel intérêt ? - Pour connaître l’Evangile, tout d’abord. A lire les publications affichées sur la porte de l’église à la fin de la messe du dimanche, ensuite. Et peut-être vérifier un contrat établi par un notaire : je pense que vous aimeriez vérifier ceux que l’on passe en votre nom. - C’est vrai que le Rouquin nous a dit qu’il y avait souvent des anomalies dan les publication affichées sur la porte d’ l’église après la grand’messe et que. M. le vicaire nous prend pour des idiots.- Et à lire des livres, ajouta Lorenzo : moi, j’y ai appris plein de choses passionnantes.- Des livres ? Il n’y a que les riches qui en ont. Et savoir écrire servirait à quoi ?- Moi j’ai appris à dessiner et j’annote mes dessins : ça me permet de me remémorer les informations qu’on m’a données sur tel arbre ou telle plante : je vous montrerai les carnets que je tiens….
- Et à quoi bon apprendre à chanter la messe en latin ? Un frère de l’Hötel Dieu que dirige maître Péant, venu avant vous, nous a dit, après avoir bien abusé du vin clairet que notre vicaire ne le connaît pas trop non plus. Il bredouille sa messe sans trop savoir ce qu’il dit ». - Tiens, frère Jeannin est venu ici, s’amusa Lorenzo
A sa demande, on lui indiqua les maisons de quelques familles qu’il lui faudrait convaincre, au cours des jours suivant, d’envoyer quelques heures par semaine pour étudier.
De retour dans sa chambre, il versa de l’eau dans un récipient…. Elle était glacée ! Il se mouilla le bout du nez, le cou… Et décida d’arrêter là. Il se rapprocha de la cheminée : une soupe épaisse et une tranche de pain avaient été déposées sur une table.« - Quand je pense que je pourrais loger dans une maison sans feu ! ».La vie à l’hôtel Dieu de Saint Julien était austère, mais il y avait des étuves à proximité… pour le confort de la cour… Elles avaient mauvaise réputation, non sans raison, parfois. Mais à Moulins, elles étaient un lieu de confort et de convivialité qu’il appréciait.
Sa première visite fut pour le vicaire : son hostilité à son égard était palpable et il souhaitait l’amadouer. Il était à l’église et achevait une messe basse. Il fut surpris par l’arrivée de Lorenzo et dissimula sous un linge brodé un curieux objet noir et brillant : une sorte d’anneau. Ou de bracelet peut-être. Pas un objet ordinairement utilisé en Italie pour le culte : une coutume locale ? Comme cette curieuse cérémonie au cimetière dont on lui avait parlé ?
L’après-midi, Lorenzo continua à classer les pièces de la comptabilité de la paroisse. Il trouvait que bien peu de dépenses étaient justifiées comme elles auraient dû l’être. Il aimait la fantaisie, mais il lui fallait envoyer un message à maître Péant pour l’en informer céant. Il demanda à Perrinet le Martel quand il devait retourner à Moulins et apprenant son départ le lendemain, lui confia deux messages. Le second était destiné à sa cousine : il s’enquérait du déroulement du concours de poésie. Les thèmes qu’ils avaient traités ensemble avaient-ils plu à l’auditoire ? Il lui confia aussi sa joie d’avoir été invité par monseigneur des Noix en sa demeure et à rencontrer quelques uns de ses amis et de bénéficier d’une émulation intellectuelle en plein cœur de la forêt. Il lui promettait un compte rendu de l’étonnante cérémonie des Musards qui devait se dérouler cette nuit et tout le lendemain qu’on lui avait annoncée comme étant l’apanage du seul village de Cressanges. D’une plume alerte et ironique, il lui dressa aussi le portrait de l’étrange frère Pasquet, qui furetait dans la forêt à la recherche d’on ne savait bien quoi.

mardi 20 avril 2010

l'ancien itinéraire de Moulins à Coulandon, par Neuvy

Cetet carte date du XVIIIe s. Elle est un peu antérieure à la construction du pont en pierre, par Régemortes En noir, le tracer du chemin suivi par Lorenzo. Il existe encore actuellement.
Je propose un jeu : le rechercher sur la carte IGN au 1/25 000e. Puis le suivre à pied : c'est une promenade agréable à faire

mardi 13 avril 2010

chapitre 10

Le vicaire était d’une humeur exécrable : et il appelait Lorenzo, Lorenzino, sur un ton condescendant qui déplaisait à ce dernier. Il ne manquait pas de lui rappeler qu’il n’était qu’un gamin auquel il n’entendait pas donner des renseignements sur sa gestion des revenus de la cure.
Lorsque Lorenzo lui avait demandé de lui remettre les quittances des dépenses effectuées au cours des années précédentes, il l’avait toisé en relevant un de ses sourcils broussailleux et s’était insurgé :
- « Que connais-tu à la tenue de livres de comptes ? »
- « Monsieur le Curé m’a demandé de lui rapporter des pièces qu’il souhaite étudier et de faire un état des lieux de l’église et de la maison curiale : on lui a rapporté que le comble est pourri, des pierres sont descellées, l’humidité suinte de partout. Maître Péant souhaite trouver une solution pour économiser sur la dîme dont vous lui reversez le surplus et faire réaliser des travaux ».
Le vicaire LOURS le regarda d’un œil torve. Il bougonna :
- « Qui lui a rapporté cette menterie ? Il est temps de nous rendre place de l’ancienne justice. La fréquentation de ces villageois n’est pas vraiment amusante, mais notre présence est indispensable lors de ces cérémonies. Sinon ces manants sont toujours tentés de faire dévier ce dimanche d’entrée dans le Carême vers des rites bien peu chrétiens. Aujourd’hui, nous tolérons ce qu’ils appellent les Brandons. Mais frère Pasquet m’a fait observer que cette coutume était bien peu chrétienne et conseillé de rester vigilant. Ah ! maître Péant a bien de la chance que personne ne lui demande de quitter Moulins pour satisfaire aux obligations de sa charge ici ».

La place n’était pas très loin : elle devait son nom au fait qu’au siècle passé s’y tenaient les assises de la justice du duc. Ses représentants venaient de Verneuil écouter les doléances des villageois et arbitrer les conflits qui pouvaient surgir entre eux, vols de bois de chauffage ou d’animaux, injures entre voisins... Maintenant, seuls s’y déroulaient les marchés hebdomadaires. Et une foire aux bestiaux. C’était là qu’à son arrivée, Lorenzo avait vu un bûcher dressé. Maintenant, il était embrasé. Les villageois qui avaient été tentés de se presser autour de cette bonne flambée en cette fraîche soirée de fin d’hiver, s’en étaient rapidement écartés, leurs visages rougis par l’intensité de la chaleur.
Des tréteaux avaient été dressés et l’on avait apporté de toutes les maisons du bourg des paniers emplis de monceaux d’une sorte de petit pain, frit et sucré... que les gens d’ici appelaient bignons.
Le vicaire LOURS en avait un dans chaque main.
- « Mais nous sommes pas en plein Carême ? le taquina Lorenzo.
- En période de Carême, on fait maigre. Et c’est péché que de se laisser mourir de faim... ».
Il paraissait aussi apprécier le vin de pays («le sang du Christ ! » pensa, moqueur, Lorenzo, qui se signa discrètement pour avoir eu cette pensée impie).
Sa rencontre avec le frère Pasquet l’avait beaucoup troublé et il se demanda ce dernier pouvait bien penser de cette fête.
Quelques uns des bignons étaient fourrés de morceaux de pommes que l’on avait conservées depuis l’automne et Lorenzo ne faisait pas la fine bouche quand on lui proposait de se resservir.
Quand le feu ne fut plus que braises, plusieurs hommes se mirent à souffler dans des musettes et les enfants, les jeunes hommes et jeunes femmes entamèrent une danse. Quelques jeunes coqs de village, pour démontrer leur agileté, sautaient par dessus le feu en poussant des cris victorieux ou en hululant...
Les villageois prenaient aussi dans le bûcher des « brandons » incandescents et Lorenzo les vit aller les passer au pied des haies qui entouraient leurs jardins et de leurs arbres fruitiers. Il trouva cette coutume intéressante : enfumer d’éventuels nids de chenilles processionnaires qui faisaient tant de dégâts aux arbres et arbustes était une bonne idée. Il leur suggérerait de le faire plus longuement et de renouveler l’opération plusieurs fois. A la nuit tombante, des feux s’étaient aussi allumés dans le lointain, vers l’est.
- « Ce sont les feux du « village » ». L’Inquisiteur de la Foi pense que certains charbonniers se transforment en loups les nuits de pleine lune. Je ne serais pas étonné que le grand rouquin qui paraît être leur chef en soit capable. Tout comme sa sale gamine qui parle avec son bâtard de chien loup ! Et qu’avec ses semblables, il erre les nuits autour de la maison de monseigneur des Noix en quête d’un mauvais coup. Il fait semblant d’être bon chrétien : demain soir, tu vas le voir conduire le groupe de paroissiens qui viennent prier chaque mardi du mois de mars dans le cimetière et que l’on appelle les « musards ». Mais on ne le voit pas trop souvent à la grand messe du dimanche. Je le prendrai bien en défaut un de ces jours. Tu as vu comme il se pose en égal de notre seigneur des Noix ? Une autre petite sorcière avec son œil vert de vipère, et son œil bleu ».
Frère Jeannin et frère Jean avaient déjà évoqué le sujet des pouvoirs des charbonniers devant Lorenzo, mais maître Pasquet avait eu l’air dubitatif. Et il était très douteux que les petites dents de Marie la Fée se transforment en crocs de fauve...
C’est grognon que le vicaire LOURS se leva de table. Non sans oublier de mettre quelques bignons dans ses poches.

jeudi 10 septembre 2009

J'ai procédé à quelques modifications des chapitres 8 et 9.

mercredi 9 septembre 2009

la généalogie de Lorenzino...

Il se tient actuellement à Paris une exposition sur Filippo Lippi et son fils Filippino. En France, quand on pense à un peintre florentin de la Renaissance, l'on pense surtout à Sandro Botticelli, qui fut l'élève de Filippo.
C'est lors de mon premier séjour à Florence, il y a presque 40 ans de celà que j'ai découvert ce tableau au musée des Offices. Plus que le "Printemps", plus que la "Vénus" de Sandro Botticelli, l'aspect étéré de cette Madonne me touche...
Et elle m'intéresse d'autant plus que le prof (de géographie) qui nous l'avait fait découvrir nous avait raconté une histoire intéressante à son propos. Le modèle de cette sainte vierge serait une religieuse qui portait le joli nom de Lucrezia Buti. Elle avait 18 ans quand elle fut séduite par Fra Filippo Lippi, qui en avait alors 48. Filippo Lippi, orphelin, n'avait pas fait le choix d'une vie dans un ordre religieux (il prononça ses voeux à 15 ans), les Carmes de surcroît. Mais celà lui permettait de vivre des bénéfices ecclésiastiques attachés à ses charges. Il s'affranchit souvent des contraintes de sa vie monastique.
L'année suivant la rencontre entre Filippo et Lucrezia naquit Filippino, qui devint le peintre attaché à la cour des Medicis.
Avoir séduit une nonne (elle aussi était carmélite) faillit coûter la vie à Filippo. Cosimo de Medicis obtint sa grâce du Pape et les eux parents du jeune Filippino furent relevés de leurs voeux et se marièrent. Filippino Lippi eut une soeur, Alessandra.
Dans la famille des Médicis, il y a aussi des personnages intéressants : trois papes (Léon X, Clément VII et Léon XI), dont le second, né Jules de Médicis (1478-1534) était lui même un enfant illégitime, et deux cardinaux : Charles (1430-1492), chanoine à Florence et Hippolyte (1509-1535).
Jules, futur Clément VII, eut lui même un fils d'une paysanne romaine (ou d'une esclave slave) : Alexandre (1511-1537).
La confrontation entre la généalogie des Lippi et celle des Médicis pouvait être intéressante : pourquoi Filippino n'aurait-il pas eu lui même une fille oubliée, élevée au couvent, qui aurait rencontré un chanoine descendant de Laurent le Magnifique ?

Comment appeler le descendant commun de ces deux intéressantes familles ?
Il y a un héros "romantique", Lorenzaccio, symbole du révolté pour Alfred de Musset et qu'a incarné Gérard Philipe, autre personnage charismatique, au festival d'Avignon, un autre Médicis, qui tua son cousin Alexandre en 1537. Lorenzaccio était au programme de la classe de 1ère et les "petits classqiues Larousses" l'ont répété à plusieurs générations de lycéens : le diminutif "accio", est méprisant.
Mon héros s'appellerait donc Lorenzino.

jeudi 30 juillet 2009

chapitre 9

A la fin de l’office, avant de passer la parole à Lorenzo, le vicaire rappela aux paroissiens le devoir qu'ils avaient de verser une redevance au seigneur des Noix. Le jeune florentin n’en comprit pas très bien la nature : il s’agissait de payer quelques deniers quand quelqu’un parlait. Une taxe bien curieuse. Un murmure diffus parcourût l’assistance quand il fut fait rappel de ce devoir.
Le vicaire L’Ours présenta Lorenzo à l’assemblée et ce dernier mit toute son éloquence pour tenter de convaincre les parents de laisser leurs enfants venir apprendre les rudiments de la lecture et de l’écriture.
- « Et le chant pour participer plus activement à la messe » crût-il bon d’ajouter.
Il leur annonçait qu’il irait les rencontrer individuellement quand le bruit d’une dispute à l’extérieur de l’église vint perturber son discours. Son auditoire devenait distrait et il jugea plus pertinent d’abréger.
Le vicaire était, quant à lui, déjà sorti.

Devant le cimetière attenant à l’église, le grand charbonnier roux affrontait un homme à cheval.
- « Ces bois nous appartenaient bien avant que votre famille ne vienne s’installer par ici et usurpe des droits sur des terres franches. Nous reconnaissons aux moines, qui replantent avec leurs paysans, le droit de percevoir une dîme sur les arbres que nous exploitons autour de leur prieuré. Le roi nous a passé commande de charbon de bois pour approvisionner son armée en poudre à canon et pour faire fonctionner les forges d’où sortent ses bombardes : c’est pour accomplir cette mission que nous abattons du bois. Dans ses forêts, ses officiers nous apportent protection, nous acceptons de lui céder gratuitement un vingtième de notre production. Mais le bois de Vesvres que vous prétendez être de votre fief, est franc de façon immémoriale, comme je le tiens de mon grand-père qui le tenait de son grand-père, qui lui-même le tenait de son grand-père. Quand vous chassez, en poursuivant le gibier vous détruisez les récoltes des paysans. C’est vous qui devriez leur payer un droit de passage.
- « Insolent ! » s’étrangla son vis-à-vis.
Le vicaire L’Ours, qui se tenait prudemment en retrait, renchérit :
- « Comment osez vous ainsi parler à une si noble personne ? »
Comme s’il n’avait pas entendu, le charbonnier continua
- « Les hommes d’armes que vous avez envoyés prélever ce que vous appelez vos redevances en ont profité pour prendre au passage, prétextant un droit de laide, les poteries que les potiers de Coulandon venaient de fabriquer pour aller les vendre à la foire. J’appelle ceci du vol et je leur ai conseillé de déposer plainte au siège de la sénéchaussée. Le procureur de leur communauté, qui est à Moulins pour la foire des Brandons a déjà sollicité un clerc pour écrire leur requête.
Quant à la redevance que vous venez de faire réclamer à la fin de la grand messe à propos des « musards » qui viendraient à rompre le silence, je serais curieux de savoir quels titres vous pouvez présenter pour justifier qu’elle vous soit versée ! »
Le seigneur des Noix, puisqu'il s'agissait de lui, était rouge de colère : il leva son épée et tenta d’intimider son contradicteur en faisant cabrer son cheval. La monture fut effrayée par un chien gris s’était interposé devant le géant roux et elle le désarçonna.
Lorenzo avait reconnu en lui l'un des seigneurs, piètre poète mais homme d’honnête conversation, féru de Pétrarque et de Dante, et qui fréquentait la cour avec assiduité. Marguerite l’avait présenté à lui. Il se précipita pour l’aider à se relever non sans remarquer que le charbonnier était allé chuchoter à l’oreille de l’animal qui s’était aussitôt calmé.
- « Décidément étonnant » avait-il pensé.
Et tendant une main secourable :
- « Permettez-moi, Monseigneur, de vous aider à vous relever. Etes-vous blessé ? »
- « Ah, Lorenzino ! Vous ici ? Rassurez-vous, un gentilhomme de ma race, issu d’une longue lignée de chevaliers est rude au mal. Je ne suis tombé que parce que ce manant pouilleux est un dangereux sorcier ».
L’homme au grand chapeau s’était éloigné en compagnie de son chien loup.
- « C’est un meneur de loups…Vous avez vu le monstre qui l’accompagnait ? Le mauvais œil ! c’est la seule chose qui peut expliquer qu’un cavalier aussi émérite que moi ait pu ne pas maîtriser sa monture. D'ailleurs, il a une méchante gamine pourvue d’un oeil vert et d’un autre bleu, ce qui est bien la marque du Démon. Mais il devra me rendre des comptes, ce gueux ! Nous allons bien leur montrer qui commande ici, n’est-ce pas ? C’est Madame Catherine qui vous envoie ? ».
- « Ah ! c’est donc bien le père de Marie », se dit Lorenzo, qui avait déjà cru reconnaître le chien gris. Puis à voix haute :
- « Non, c’est maître Péant. Il m’a chargé de créer une petite école de grammaire. Je suis venu l’annoncer ce matin à l’issue de la grand-messe ».
- « Je n’assiste jamais à la messe paroissiale : je suis les offices de mon chapelain en mon château. D'ailleurs, je serai ravi de vous y recevoir : nous pourrions organiser une de ces si charmantes soirées poétiques. J’inviterais quelques voisins.
J'ai ouï dire que le curé de la paroisse vous avait chargé d'organiser des écoles ? Louable initiative, si c’est pour donner un peu plus de religion aux rejetons de ces païens. Mais pas s’il s’agit de leur donner les moyens de lire et écrire. Ces pouilleux savent déjà bien trop de choses : on se demande bien comment. Vous avez entendu comment ce suppôt de Satan me parlait ? Et les mots qu’il employait ? « présenter des titres »… « déposer une requête » ? Sait-il seulement ce que celà veut dire ? Et imagine-t'il que le roi ou sa justice peut donner raison à ces culs terreux contre leurs supérieurs ? »
Sur ces mots, il remonta sur son cheval et saluant Lorenzo, reprit la direction de sa demeure.

L’après-midi était déjà bien avancé : Lorenzo et le vicaire allèrent à la cure. Une femme du village leur avait préparé un repas léger. Elle montra à Lorenzo la maisonnette qui lui était attribuée pour le temps de son séjour : des pâquerettes fleurissaient le long des murs, elle était couverte de chaume et ne comprenait qu’une seule pièce, mais dotée d’une cheminée en pierres..
Lorenzo appréhendait un peu la solitude au cours de son séjour : heureusement qu’il avait ses pigeons pour communiquer avec Marguerite (il lui enverrai un message sous peu), son papier pour écrire, le missel qui lui venait de sa mère et un luth …. Et puis, le seigneur des Noix avait promis d’organiser une soirée poétique.

Il rejoignit le vicaire pour procéder à la vérification de l’emploi des revenus de la cure.

mercredi 29 juillet 2009

chapitre 8

Le dimanche matin, Lorenzo se réveilla frais et dispos. Au retour de son escapade nocturne, il s’était endormi comme une masse. Il avait bien ouvert un œil quand les deux moines qui partageaient le châlit avec lui s’étaient levés pour se rendre à la chapelle dire leurs prières de laude. Mais il avait aussitôt replongé dans le sommeil. Le soleil brillait quand il descendit au réfectoire : Perrinet, le garde du martel était en train de manger une soupe.
- « Maigre » fit-il observer à Lorenzo « Frère Pasquet nous a quitté et a disparu après avoir bu un gobelet d’eau. Quant aux échevins qui comptaient partir à l’aube, ils dorment encore » ajouta-t’il dans un éclat de rire. « Tu trouveras une écuelle dans le dressoir ». Lorenzo alla se servir de la soupe dans la marmite qui pendait à la crémaillère, dans la grande cheminée.

Il restait encore trois bonnes lieues à parcourir avant d’arriver à Cressanges. Au contraire de ses compagnons de la veille, Perrinet Le Martel était un homme pressé. Et peu disert. Lorenzo, qui devait rencontrer le vicaire avant la grand messe pour lui annoncer sa mission s’était un peu inquiété du train adopté par les deux échevins qui semblaient vouloir allonger le plus possible leur promenade dans la campagne et la forêt et paraissaient connaître toutes les haltes où il faisait bon se désaltérer d’un vin de pays. Au cours du trajet, les deux incorrigibles bavards lui avaient appris une foule de choses. Et Lorenzo, un peu surpris au début de pareil déluge verbal, mais avide de savoirs, avait rapidement été intéressé par ce qu’ils disaient. Il avait apporté une main de papier pour consigner par écrit les poèmes qu’il concoctait ordinairement dans sa tête, mais avait déjà utilisé plusieurs feuillets pour noter aussi ses observations. Il comptait retourner observer les plantes aux vertus médicinales que ses compagnons de voyage avaient signalé à son attention. Au contraire de son oncle Guiseppe, qui le prenait pour un enfant irresponsable, les adultes qu’il avait rencontrés depuis son arrivée dans le duché de Bourbonnais le traitaient d’égal à égal. Il le devait peut-être à la confiance que lui avait manifestée maître Péant en l’investissant d’une mission aussi importante que celle de vérifier les comptes de la paroisse et d’organiser des petites écoles de grammaire…….

Perrinet le Martel était sorti de sa réserve pour lui vanter le travail des forestiers. Un travail de plusieurs générations avait permis d'obtenir un bois de haute futaie, idéal pour employer au renforcement des fortifications des villes, mais surtout indispensables à l’entretien des ponts et à la liberté de circulation des marchandises dans un pays prospère. Entre les moines, les officiers qui administraient, les sergents qui surveillaient, les forestiers qui coupaient le bois, mais aussi replantaient de jeunes plantes, débrouissaillaient, les paysans autorisés à venir prélever un peu de gibier pour leur nourriture, et les charbonniers, la forêt était loin d’être déserte… Lors d’une halte, Lorenzo et Perrinet avaient ainsi vu arriver plusieurs personnes venues s’enquérir des nouvelles.
Lorenzo la trouvait donc, cette forêt, beaucoup moins inquiétante qu'il ne s'y était attendu. Au couvent où résidait sa mère, il avait lu un exemplaire de la Guerre des Gaules de Jules César, qui présentait la forêt gauloise comme inexpugnable et un milieu hostile. Et son premier contact avec les bois de sapins traversés entre Charlieu et La Palisse, sous la pluie et un vent violent, l'avait conforté dans ses craintes. Il était venu avec deux ambassadeurs du duc de Florence, naturellement accompagnés d’hommes d’armes… La petite troupe avait séjourné deux nuits au château des comtes de Chabannes, où elle avait été accueillie chaleureusement. L'ancêtre du comte actuel était mort devant Pavie (1). Comme une bonne partie de la meilleure noblesse de France, qui soixante années durant, était partie tenter l'aventure et guerroyer au delà des Alpes, il avait éprouvé une grande fascination pour l'Italie. Il avait fait édifier un pavillon neuf, décoré dans le goût des palais toscans. Dans ce havre de paix, les voyageurs avaient appris qu’un convoi de marchands avait été attaqué par des brigands et que l'un d'entre eux avait été très grièvement blessé. Lorenzo n'avait pas été étonné que dans ce coupe gorge celà soit arrivé. Les légendes que lui avaient contées le frère Jeannin qui était très attiré par les choses plus ou moins magiques, notamment à propos des charbonniers, lui avaient donc fait craindre que les forêts bourbonnaisese ne soient le refuge pour des hordes d’hommes sauvages. Avant son départ de Moulins, il avait donc pris soin de faire aiguiser son tranchet et s’était tenu prêt à en découdre...
Il avait été étonné, après sa rencontre avec Marie, qu’elle partage son intérêt pour l’observation du ciel et qu’elle puisse avoir à sa disposition un objet si sophistiqué pour l'observer. Et elle lui avait suggéré que son père ne se contentait pas d’utiliser cet objet, mais qu’en plus de transformer le bois en poudre de charbon, il soufflait le verre et cherchait à améliorer la technique des lentilles grossissantes... Lorenzo était impatient de le rencontrer.
Maintenant, la forêt était de plus en plus fréquemment entrecoupée de clairières au milieu desquelles finissaient de se consumer des feux émergeant de cabanes rondes en branchages. Perrinet saluait au passage les hommes qui les veillaient car il fallait craindre les incendies. Lorenzo chercha des yeux Marie mais ne l’aperçut pas.
Ils menaient bon train pour arriver avant l'heure de la grand'messe : Lorenzo caracolait sur sa mule qui s’avérait être une excellente monture. Il se retourna à plusieurs reprises pour vérifier que la cage dans laquelle somnolaient ses pigeons était bien arrimée à sa selle.
Le chemin qu’ils avaient suivi depuis le prieuré, empruntait en réalité une ligne de crête et même s’il n’avait rien à voir avec ceux qui dans sa Toscane natale permettaient l’accès aux villages perchés, le clocher de Cressanges qui émergea entre deux arbres d’une haie surpombait la campagne environnante.

Ils arrivèrent avant l'heure de tierce... Lorenzo eut un mouvement de recul devant le monumental tas de bois dressé sur la place à l’entrée du village…
- « Frère Pasquet a réussi à convaincre le vicaire Lours de dresser un bûcher à Cressanges ? »
- « Demain, lundi, c’est les Brandons, le rassura Perrinet….. C’est une coutume dans nos campagnes d’allumer des feux et de « brandouner » au pied des arbres fruitiers pour avoir de belles récoltes. Tard dans la nuit, la jeunesse danse autour des braises. Tu seras le bienvenu : les villageois sont très accueillants ».
Il l’accompagna à la sacristie et lui présenta le vicaire L’Ours. Un de ses ancêtres était venu d'Allemagne et ce nom était la traduction d'un patronyme imprononçable avait confié Perrinet le Martel à Lorenzo qui trouvait que ce nom collait bien à son allure balourde ! Physiquement il ressemblait aux miniatures qu'il avait admirées avec Marguerite dans un exemplaire du livre de chasse de Gaston de Foix conservé dans la bibliothèque du château de Moulins. Ils convinrent ensemble que Lorenzo devait prendre la parole à l’issue de la messe pour contacter les parents de jeunes enfants et les convaincre de les envoyer suivre les cours qui seraient dispensés dès le mois de mai dans les petites écoles. Il l’informa aussi qu’il avait pour mission de vérifier les comptes : compiler les reconnaissances des revenus dûs à la cure et les quittances afférentes aux travaux sur les bâtiments, qui apparemment, étaient fréquents et expliquaient la portion congrue qui revenait au père Péant. Certes, ce dernier n'escomptait pas en tirer grands bénéfices, mais il était curieux d'en connaître la raison.
A cette nouvelle, le vicaire, qui avait déjà témoigné de peu d’enthousiasme devant le projet d’école, lui jeta un regard noir.
- « Bon, je fais sonner les cloches. Je vais être en retard pour la grand messe »

Au milieu des paysans qui attendaient devant le porche, Lorenzo aperçut Marie et le grand homme roux qu’il avait remarqué la veille à ses côtés, et qu'il supposa être son père. La fillette alla s’installer du côté des femmes après avoir adressé un discret signe amical à Lorenzo. L’homme s’en aperçut cependant et ils échangèrent quelques mots. Mais il n’entra pas dans l’église avec elle.
(1) le maréchal de Lapalisse est mort devant Pavie en 1525. C'est lui qui "un quart d'heure avant sa mort était encore en vie" où plutôt, "faisait encore envie", paroles originales de la chanson écrite en son honneur.